En septembre 2018, sous l’impulsion du conseillé communale d’extrême droite Vlaams Belang Pol Denys, la commune de Zedelgem érigeait un monument rendant hommage à 12 000 soldats lettons de la Waffen-SS (combattants pour l’Allemagne nazie), qui avaient été emprisonnés dans des camps de guerre à Zedelgem durant la seconde guerre mondiale. Cela fait désormais plus de 2 ans que ce monument célébrant des soldats nazis ayant participés au génocide juif ainsi qu’à des crimes de guerre existe et cela dans un passage sous silence volontaire des élu.e.s politiques belges.[1]
Ce monument mettant à l’honneur des collaborateurs et l’histoire du nazisme, célèbrerait la « Liberté » selon les autorités communales de Zedelgem (CD&V). Il prend la forme d’une ruche sur laquelle sont posées des abeilles, symbolisant les 12 000 légionnaires lettons de la Waffen-SS, détenus entre 1945 et 1946 à quelques kilomètres de Zedelgem. La construction du monument s’appuie et présente une lecture révisionniste lettonne de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui tend à atténuer, renier l’implication des SS lettons dans le génocide juif et les crimes de guerre de l’Allemagne nazie. Ces derniers, en Lettonie, selon la même lecture nationaliste de l’histoire, sont considérés comme des héros ainsi que des « combattants pour la liberté ». Pourtant, les historien.nes sont clair.e.s, l’implication des soldats lettons de la Waffen-SS dans le génocide juif ainsi que dans les crimes de guerre de l’Allemagne nazie est incontestable.
A Riga (capitale de la Lettonie), chaque année, des ex-SS, leur famille et soutiens défilent dans les rues de la capitale en hommage aux soldats lettons de la Waffen-SS. Des membres du parti politique néo-nazi Alliance Nationale ainsi que des membres de la coalition au pouvoir participent également à la marche annuelle de « la journée pour la légion », qui, dans le récit révisionniste nationaliste letton, tente de justifier le fait d’avoir combattu pour une unité de la Waffen-SS. Leur discours se base principalement sur deux axes. Le premier consiste en l’enrôlement obligatoire en 1943 dans les unités de la Waffen-SS alors que la Lettonie était sous-occupation nazie depuis 1941. Pourtant, le régime nazi proposait une alternative à l’engagement militaire : un service de travail dans l’industrie de guerre. Par ailleurs, il était aisé de ne pas se présenter à l’appel. S’engager comme SS en 1943 témoignait donc, dans la plupart des cas, d’une volonté de collaboration avec le nazisme. Le second axe, est l’héroïsation des soldats SS lettons comme « des combattants pour la liberté » du peuple letton, contre le bolchevisme. Or, les soldats de la Waffen-SS ont combattu avec et pour le fascisme allemand, jamais pour la promesse d’une quelconque indépendance lettone. L’objectif de ce discours étant de justifier la collaboration de ces soldats lettons avec le nazisme, d’effacer et inverser l’histoire en les présentant comme des héros, des fiertés de la patrie. Parallèlement, c’est la même volonté qui anime l’extrême droite flamande en érigeant ce monument en Flandre : justifier par l’intermédiaire du monument letton, la collaboration flamande avec le nazisme sous l’occupation. Par ailleurs. en janvier de cette année, le parlement flamand, qui a pour présidente Liesbeth Homans (N-VA), à l’occasion de ses 50 ans à nouveau célébré deux collaborateurs notoires du nazisme pendant la seconde guerre : August Borms et Staf de Clercq pour avoir contribué « à l’émancipation du peuple [flamand] et de sa langue ». Encore une fois, l’extrême droite flamande ne met que trop bien en évidence ses racines, son héritage avec le fascisme historique et sa volonté à justifier les collaborations, notamment flamandes, avec le nazisme. [2],[3].
En novembre 2019, Pol Denys (Vlaams Belang) initiateur du projet du monument était médaillé à Riga par le président letton « […] pour un travail exceptionnel réalisé au profit de la Lettonie […] Paul Denys a été désigné par le musée en raison de ses recherches approfondies sur l’histoire de la Lettonie et de ses efforts pour commémorer le sort des soldats lettons pendant la seconde guerre mondiale. » [4], nous informe le site du musée de l’Occupation à Riga. Ceci est le signe d’une collaboration étroite et d’une vision partagée de l’histoire entre l’extrême-droite belge du Vlaams Belang, émanation en partie politique du Vlaams Block groupe fasciste néo-nazi interdit en 2004, et celle lettone.
Si Pol Denys joue un rôle important en tant qu’initiateur du projet, il a également bénéficié du soutien de la majorité communale CD&V de Zedelgem, notamment du bourgmestre Paul Arnou qui a largement soutenu ses projets en finançant le monument nazi avec des fonds publics – la Belgique étant le seul pays d’Europe occidental à dépenser de l’argent public pour célébrer des collaborateurs du nazisme – [5]. Il a aussi Pol Denys médiatiquement en s’affichant à ses côtés [6]. En 2014 Paul Arnou et Pol Denys s’affichaient avec deux ex-soldats lettons de la Waffen-SS dans le journal Het Laatste Nieuws. Deux élus politiques belges avec deux ex-soldats nazis, dans un journal mainstream. [7]
Face au passage sous-silence de l’évènement chez les politiques, des citoyen.nes ainsi que des associations de mémoire de la seconde guerre mondiale ont interpellé les différents membres du gouvernement. Wilfred Burie membre de l’association « The Belgian Remember Them », initiateur de l’interpellation du gouvernement n’a reçu qu’une réponse évasive d’un ministre qui s’est suffi de dire que ce n’était pas de l’ordre de ses compétences. Au parlement, le député André Flahaut (PS) suite à l’interpellation citoyenne, a lui interrogé le ministre de la justice fédérale Vincent Van Quickenborne (Open-Vld), l’invitant à initier une enquête sur le monument. Ce dernier lui a répondu « […] Dans le cas précis que vous évoquez, il appartient aux autorités judiciaires d’apprécier s’il y a lieu ou non d’ouvrir une enquête. En tant que ministre de la justice, je n’ai aucune initiative à prendre. »[8]
Pourtant, il s’agit bien ici d’un choix politique. Rappelons que le ministre de la justice à la possibilité d’initier positivement une enquête judiciaire.[9] Il aurait donc pu soumettre une injonction positive au parquet pour ouvrir une enquête sur le monument célébrant des soldats nazis ainsi qu’une lecture révisionniste de l’histoire (ce qui par ailleurs, est condamné par une loi de mars 1995, adoptée pour condamner la négation et la révision du génocide commis par le national-socialisme allemand).[10] Choix politique de Vincent Van Quickenborne donc, qui peut s’éclairer au regard de ses déclarations antisémites lors du Carnaval d’Alost en 2020, où il avait déclaré dans un Tweet suite à la polémique légitime sur les chars antisémites « Le lobby juif fait des heures supplémentaires. »[11]
En juillet, le conseil communal de Zedelgem décidait de retirer la plaque signalétique qui accompagnait le monument, face à la contrainte de la polémique grandissante. Cette plaque ne signalait pas que les petites abeilles célébrées sur le monument étaient des soldats de la Waffen-SS. Elle sera remplacée par une nouvelle plaque signalétique écrite avec des historien.ne.s qui recontextualisera le rôle qu’ont eu les soldats SS dans la seconde guerre mondiale et les crimes guerres. Il a également été décidé que la place qui abrite le monument anciennement appelé « place de la liberté » recevrait un nouveau nom.[12] Mais, pour le moment, aucune décision ne semble aller dans le sens d’une suppression pure et simple du monument dans l’espace publique. Car, peu importe la manière dont il est recontextualisé, il reste un monument mettant à l’honneur des collaborateurs du nazisme et l’horreur du fascisme. Le projet de recontextualisation du monument apparaît comme une manière de lui permettre de subsister. Sa suppression est pourtant de l’ordre de la nécessité, à l’heure où l’espace publique et le débat politique sont progressivement infecté par le processus de fascisation de nos sociétés.
La création des monuments célébrant des soldats nazie ainsi qu’une lecture révisionniste de l’histoire, la progression électorale de l’extrême droite, l’héroïsation de terroriste fasciste comme Jurgens, la célébration de collaborateurs notoires du régime nazi à l’occasion des 50 ans du parlement flamand, la banalisation du discours de l’extrême droite dans les médias et débats politiques (immigration, communautarisme, sécurité) ainsi que l’intensification des politiques de guerre de l’Union Européenne à l’encontre des exilé.e.s, ne sont pas des évènements distincts, ils sont autant de marqueurs du processus de fascisation dans lequel nous sommes engagés. Jour après jour, la nécessité d’une réponse collective à la montée du fascisme apparaît toujours plus clairement.