Loïc 29 ans, en crise, tué par balle par la policeCe que cette mort raconte du système

   

Le 28 février 2023, à Waret-Levêque (en région Hutoise), les parents de Loïc appellent la police pour demander de l’aide. Depuis sa rupture, Loïc, 29 ans, traverse des troubles psychologiques et est en crise. Lorsque ses parents appellent à l’aide, Loïc est retranché dans la cave de leur maison. A la suite de l’appel, deux policiers se rendent sur place et descendent dans la cave. Loïc les y aurait agressé à l’aide d’un couteau, blessant un policier à la hanche et au visage. Dans la version policière, le collègue du policier blessé explique avoir tiré sur Loïc, alors que ce dernier s’apprêtait à frapper à nouveau le 1er policier blessé.

Les parents de Loïc ayant appelé à l’aide pour aider leur fils ont affirmé leur intention de porter plainte à l’encontre du policier qui a tiré sur Loïc, car d’autres réactions auraient été possibles. Aux dernières informations, le dossier placé à l’instruction s’oriente vers la légitime défense pour le policier qui a tiré, ceci sous réserve de l’enquête, précise bien la première substitut du parquet Catherine Collignon.

Cette mort d’une personne en crise psychique et en détresse fait écho au décès par balle d’un homme racisé de 49 ans, le 21 mars à Fond’Roy, hôpital psychiatrique à Uccle. Il est important de ne pas traiter médiatiquement ces morts comme des faits divers, car elles n’en sont pas. En réalité, elles soulèvent une réalité importante : si les policier·ères n’étaient pas munis d’une arme, Loïc et l’homme tué en hôpital ne seraient pas morts. Si on traitait différemment les maladies et les crises psychiques, ils ne seraient pas morts non plus. 

Ceci nous amène donc à questionner le traitement que l’Etat impose aux personnes en crise psychique, la manière dont il intervient et la violence qu’il emploie. Est-ce qu’un·e policier·ère, habitué·e et formé·e aux actions de répressions violentes, doit être déployé·e lorsqu’une personne en crise a besoin d’aide, même si elle devient éventuellement dangereuse, pour elle-même ou pour autrui ?

Il semblerait que non, car le rapport caractéristique qu’entretient la police avec la population est celui de répression, là où, précisément, les « maladies mentales » et leurs crises doivent être appréhendées dans un rapport de dialogue et de médiation avec des équipes pluridisciplinaires (psychiatre, assistant social, psychologue, …), comme une autre expérience du réel, et non comme une marge à écraser et à stigmatiser.

Pourtant, le fait que ce soit la police qui se retrouve à être appelée lors de ces situations, témoigne bien du traitement structurel réservé aux personnes neuroatypiques, celles parfois en crise, celles avec des pathologies, celles considérées comme « folles », … Aucune structure digne ou de service social, au delà des Hôpitaux Psychiatriques (HP) et internement d’urgence, n’existe pour gérer les crises, donc, on appelle la police.

La psychiatrie occidentale, les HP, la « folie » et le rôle qu’on leur a donné dans le capitalisme ont une histoire : celle de l’exclusion, celle du pouvoir de la raison sur la « déraison ». La distinction entre raison et déraison apparait au milieu du 17e siècle. La « déraison » et le délire deviennent alors un objet d’étude scientifique. Avant ce moment historique particulier, la « folie » avait une place tout à fait différente dans la société. Depuis, un développement progressif des hôpitaux de redressement et de l’internement des personnes considérées comme « folles » a été mis en place.

L’exclusion et la marginalisation des personnes considérées comme « folles » est donc tout le sujet des hôpitaux psychiatriques modernes. L’incarcération forcée, et aujourd’hui la médicamentation abusive et l’absence manifeste de la thérapie comme outil majeur, montrent bien que les hôpitaux psychiatriques ne visent pas en réalité à « soigner » toutes les personnes hospitalisées, mais reste un facteur de contrôle sociale et de domination, qui a tendance à détruire ses patient·es. D’autant plus à l’heure actuelle, dans un régime de sous-investissement public, qui rend tout pire encore, tant pour les personnes incarcérées que pour le personnel.

Si Loïc avait eu accès, lors de sa crise, à un service social formé, bien financé, pluridisciplinaire et capable de réagir à de manière approprié et proportionnelle, il n’en aurait pas été ainsi. La police, la psychiatrie et les hôpitaux continuent à tuer, marginaliser et briser les corps. Il semble nécessaire de penser le rapport de nos sociétés à la folie autrement qu’à travers ces institutions de contrôle et de domination sociale, dont le développement historique documenté par des chercheur·ses comme Michel Foucault montre bien leur nature, celle de défendre un système.

Sources :

https://www.lesoir.be/499524/article/2023-03-07/loic-29-ans-tue-par-un-policier-le-dossier-soriente-vers-la-legitime-defense

Michel Foucault, à propos de l’histoire de la folie 1960, https://www.youtube.com/watch?v=QNB5OKJ36nQ

Pour aller plus loin :
Révoltes psy, Olivier Brisson, Mathieu Bellahsen et Florent Gabarron-Garcia,, La Fabrique éditions
https://www.youtube.com/watch?v=MkWo776V0bQ
Michel Foucault, Histoire de la folie
Mathieu Bellahsen, La santé mentale