MORTS AU CONTACT DE LA POLICE BELGE EN 2025

   

LES MÉCANISMES DERRIÈRE CES VIOLENCES D’ÉTAT

L’année 2025 a été marquée par une série de meurtres policiers et de nombreuses violences survenues au contact de la police en Belgique. L’État, via son appareil répressif, est responsable de ces morts. À chaque fois, des modes opératoires similaires sont à l’œuvre dans le traitement médiatique, institutionnel et juridique réservé aux familles et proches des victimes, qui principalement sont des personnes non blanches et précaires. Dans cet article, nous revenons sur ces modes opératoires et sur le continuum de violences policières et institutionnelles qui ont ponctué cette année.

UN PROCÉDÉ BIEN RODÉ, UNE MÉCANIQUE QUI SE RÉPÈTE

Les meurtres policiers, cette année comme les précédentes, sont précédés et suivis d’une série de violences, de manière presque mécanique. Ils sont partie intégrante d’un continuum de violences d’État à la croisée de questions raciales et de classes. Ils en constituent la forme la plus brutale et la plus visible, mais ils ne surgissent jamais sans contexte.

Ces meurtres policiers touchent tendanciellement les mêmes populations car les institutions étatiques produisent et entretiennent d’abord les catégories raciales, qui sont reflétées dans l’exercice de la violence. L’État racialise certaines populations, celles non-blanches et/ou issues de l’immigration, en les traitant comme inférieures ou indésirables. L’organisation sociale marginalise et précarise ces parties de la population, en les assignant à résidence dans des quartiers relégués et sous-financés, en exerçant sur ces dernières une surveillance policière intensive et des contrôles permanents. Ce processus de racialisation, hérité de l’histoire coloniale, crée les conditions d’une violence d’État multiforme : contrôles au faciès, précarité économique maintenue par des politiques discriminatoires en matière d’emploi et de logement, stigmatisation médiatique constante, etc.

Après les meurtres policiers, se répètent des traitements politico-médiatiques qui lavent la responsabilité des policier·es impliqué·es et qui criminalisent le·la défunt·e. Dans l’immense majorité des cas, les familles des victimes font face à un mépris et une impunité institutionnels, qui refusent le droit à la justice aux victimes de ces violences d’état.

Cette année, le père de famille Christophe Amine Chollet, Fabian âgé de 11 ans, Jidel âgé de 9 ans, Adem âgé de 19 ans et Adamo âgé de 34 ans, également père d’un enfant, sont tous·tes décédé·es au contact direct des forces de l’ordre.

Mahmoud Ezzat Farag Allah est lui aussi mort dans les mains de l’État belge alors qu’il était incarcéré dans les conditions de détention inhumaines du centre fermé 127 bis*.

UNE VIOLENCE MÉDIATIQUE PAR-DELÀ LES VIES ÔTÉES

Les familles et proches des victimes ont systématiquement eu affaire à des traitements médiatiques qui confortent le narratif policier en présentant les victimes en bourreaux et les policier·ères en victimes. La presse a tendance à conforter les intérêts de l’État belge en reproduisant le narratif policier plutôt qu’en donnant la parole aux victimes, ou de questionner l’intervention policière ayant mené à la mort d’une personne.

Au moment de la mort de Christophe Amine Chollet mai 2025, la presse a notamment mis en avant le fait qu’il circulait sur un « scooter volé » pour justifier son décès, plutôt que d’interroger le fait qu’une opération policière avait de nouveau mené à la mort d’une personne. Les médias produisent des discours, qu’ils soient vrais ou faux, dont l’objectif est de détourner l’attention de l’enjeu principal : une personne est morte par la faute d’une institution de l’Etat.


La presse criminalise spontanément la victime qui a été tuée, comme si l’éventualité d’avoir commis un crime ou un délit légitimait le meurtre d’une personne. Et dans le même temps, elle salit sa mémoire, humilie ses proches et complique un deuil déjà impossible. Il est en réalité question de justifier l’injustifiable.

Lors du décès du jeune Fabian en juin 2025, une grande partie de l’attention médiatique s’est chargée de conforter la version policière en insistant sur l’illégalité de l’usage des trottinettes électriques pour les personnes âgées de moins de 16 ans. À l’image de l’émission de la RTBF : « QR le débat« , qui, le lendemain du meurtre de Fabian, posait la question en plateau de la responsabilité des parents. Les médias s’interrogent de si Fabian était responsable de sa propre mort, parce qu’il jouait sur la trottinette d’un membre de sa famille dans un parc ? Il est à nouveau question de détourner l’attention en tentant de justifier l’injustifiable : un enfant en sixième primaire a été tué par des policiers qui l’ont volontairement tamponné et puis écrasé – en roulant à plusieurs dizaines de KM/h – alors qu’il jouait simplement dans un parc. Il avait 11 ans.

D’une manière similaire, au moment du décès d’Adamo à Namur en décembre, la presse a repris la version policière en expliquant publiquement qu’Adamo était armé « violent et agressif » pour justifier l’usage d’armes létales et finalement le fait qu’il ait été volontairement tué. A nouveau, les médias se font le relai de la police et participent à la reproduction de la figure de « l’homme noir violent et indomptable », directement héritée de l’histoire coloniale belge.

Les médias qui produisent ce types de traitements contribuent directement à la criminalisation des victimes, la justification de leur mort ainsi qu’à laver la responsabilité policière et celle de l’Etat.

UNE VIOLENCE INSTITUTIONNELLE

Encore en plein deuil les proches de personnes tuées par la police sont confrontés à la violence des institutions de l’État.

Dès le décès, ils et elles se heurtent à une série d’obstacles systématiques : l’attente interminable pour récupérer le corps de leur proche allant jusqu’à plusieurs semaines décrite par les familles de victimes comme un arrachement, l’accès tardif voire refusé aux résultats d’autopsie, des frais de procédures exorbitants qui s’éternisent sur des années et une absence totale d’accompagnement psychologique ou administratif. Ces mécanismes institutionnels transforment le deuil en épreuve supplémentaire, obligeant les familles endeuillées à se battre seules contre l’appareil d’État pour obtenir des réponses.

Le cas d’Adamo, décédé mi-décembre 2025, illustre cruellement cela. Sa famille a été empêchée de voir et de récupérer son corps pendant une longue période. La famille a ensuite du batailler pour enterrer Adamo en Guinée, comme cela était sa volonté. Aujourd’hui encore, la famille doit lutter pour obtenir une contre-autopsie, ajoutant une difficulté juridique et administrative au traumatisme du deuil.

Ces mécanismes institutionnels qui méprisent la mémoire des défunt·es s’accompagnent très souvent d’un silence assourdissant des autorités, qui refusent toute remise en question ou prise de position concernant les pratiques policières. Les proches se retrouvent alors isolé·es face aux institutions responsables de leur deuil : iels doivent non seulement porter le poids du deuil, mais aussi entreprendre une lutte pour obtenir la vérité ainsi que la reconnaissance de l’injustice, contre l’appareil d’État lui-même.

La violence institutionnelle continue tout au long des procédures juridiques, souvent très couteuses et pénibles. Ces procédures judiciaires blanchissent et/ou ne condamnent pas, la majorité du temps les policier·ères auteur·es de ces meurtres, même lorsqu’il y a des évidences sur leur responsabilité. L’institution judiciaire protège donc et justifie la violence de l’État, au travers de la police.

Dans le courant du mois d’octobre dernier, par exemple, le parquet d’Anvers a classé sans suite l’enquête au sujet de la mort de Jidel, qui avait été renversé et tué par une voiture de police le 18 juin 2025. De la même manière, la famille de Mehdi, tué le 20 août 2019 à l’âge de 17 ans par la police, a elle aussi été confrontée à cette violence institutionnelle. Cette année, après plus de 6 années de lutte pour obtenir justice et vérité pour leur fils et frère mort au contact de la police, la justice belge a réclamé 18 000 euros de dédommagement pour le policier responsable de sa mort.

En avril 2025, après deux ans de combat de la famille de Sourour face aux intimidations et obstacles juridiques entretenus délibérément, le Procureur du Roi de Bruxelles a enfin introduit un réquisitoire qui reconnaît qu’ »il existe des charges suffisantes contre la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles en ce qui concerne l’inculpation d’homicide involontaire« . Mais cette reconnaissance reste profondément insuffisante : en incriminant uniquement la « zone de police » comme entité abstraite, le Parquet refuse de nommer et de poursuivre les policier·ères responsables directement de la mort de Sourour. Cette stratégie permet de diluer les responsabilités et de maintenir l’impunité des agent·es qui ont effectivement tué sans pour autant questionner fondamentalement la police en tant qu’institution d’État.

UN MÉPRIS AFFICHÉ POUR LES VICTIMES DE VIOLENCES POLICIÈRES

Le 13 juin dernier apparaît comme un tournant dans la manière dont la violence d’État s’exerce à l’encontre des familles de victimes de violences policières. Ce jour-là, alors que le jeune Fabian était décédé deux semaines plus tôt et que le policier qui l’avait tué avait été placé en détention provisoire, le syndicat de police belge NSVP appelait à manifester pour s’opposer à cette décision. En plus de constituer une nouvelle violence pour les proches de Fabian, ce rassemblement était organisé au même endroit et au même moment qu’un rassemblement réclamant justice pour Sourour Abouda.

Ce rassemblement, qui a réuni plusieurs centaines de policier·ères, apparaît comme un symptôme de la fascisation des institutions répressives de l’État belge, où l’institution policière prend progressivement une place prédominante au sein de l’appareil d’Etat. Quelle que soit la culpabilité policière dans le décès d’une personne, l’expérience montre que le·la policier·e ne sera pas inquiété·e et que : si la justice en décide timidement autrement, l’institution policière fera pression pour y remédier. Le policier incarcéré dans le cadre du meurtre de Fabian a été libéré quelques semaines plus tard.

Dans les affaires de meurtres policiers, la plupart des familles ayant perdu un·e proche qui prennent position publiquement réclament régulièrement à minima la mise a pied des policier·ères responsables, mais ils et elles restent cependant généralement en service.

LE CONTINUUM DE LA VIOLENCE D’ÉTAT

Ces meurtres ne sont ni des accidents, ni des erreurs isolées, ni des simples « bavures ». Elles sont le produit d’une organisation sociale encadrée par l’Etat, qui produit, justifie et protège la violence exercée contre certaines vies jugées indésirables. C’est ce même système qui est à l’œuvre lorsque Mahmoud Ezzat Farag Allah est décédé après avoir été incarcéré dans des conditions de détention inhumaines en centre fermé ainsi que lorsque la police tire ou écrase une personne.

Mahmoud a été poussé à la mort par l’État belge. Il était enfermé au centre fermé 127 bis*, une de ces « prisons » administratives où l’État enferme des personnes dont le seul tort est de ne pas avoir les « bons papiers ». Ces centres, régulièrement dénoncés pour leurs conditions inhumaines, sont un des lieux qui incarnent la violence de l’Etat : surpopulation calculée, privation délibérée de soins, isolement utilisé comme torture, violences quotidiennes, …. L’existence même de ces centres est constitutive du racisme d’Etat en Belgique et est régulièrement dénoncée par des collectifs.

La mort de Mahmoud est donc un meurtre d’État. L’État belge l’a enfermé dans des conditions qu’il savait insupportables et mortifères. Il porte l’entière responsabilité de cette mort, comme il porte celle de Christophe, Fabian, Jidel, Adem et Adamo.

Car c’est exactement le même système raciste qui tue : par balle, ou par étouffement, lors d’un contrôle au faciès, par écrasement lors d’une course-poursuite, ou par enfermement dans un centre qui détruit psychologiquement. Les personnes tuées par l’État constituent le sommet de l’iceberg de la violence d’État.

L’État désigne certaines vies comme indésirables et négligeables : les vies non-blanches, les vies précaires, les vies migrantes, et il déploie son arsenal répressif ainsi qu’un lot de discrimination pour les contrôler, les surveiller, les quand il faut réprimer et finalement les maintenir dans les sphères basses de la société. Les institutions répressives de l’État ne dysfonctionnent pas : elles fonctionnent exactement comme prévu. Leur rôle est de maintenir et reproduire les structures sociales du capitalisme. Les institutions policières, judiciaires et carcérales, protègent le statu quo de la domination sociale. Leur violence n’est pas un accident du système, elle est une des formes du système, un des rouages de son fonctionnement.

UN SYSTÈME INÉVITABLEMENT VIOLENT ?

Aux violences mortelles s’ajoute un arsenal quotidien de violences plus ou moins régulières. L’harcèlement policier dans les quartiers populaires qui se manifeste entre autres, par les contrôles systématiques et racistes, qui en plus d’être une humiliation peuvent toujours donner lieu à des éventuelles violences physiques, par la surveillance accrue, la privation de l’accès à l’espace publique pour les populations les plus marginalisées. Mais aussi une série de mesures exceptionnelles de contrôle social qui sont réservées qu’aux quartiers populaires : couvre-feu, assignation à résidence lors de la Nouvelle année par exemple, interdiction de regroupement dans l’espace public, … Ces mesures engendrent un déploiement policier plus important pour leur mise en place, donc une activité policière plus importante et plus de violence à l’encontre de la population comme résultat de cette sur-présence.



Dans les manifestations, les forces de l’ordre déploient une force violente : matraquages, gaz lacrymogènes à bout portant, passages à tabac dans les fourgons, coups à la tête, projections au sol, insultes, coups et blessures lors de rassemblement contre une expulsion.Ces violences « ordinaires » ne sont pas distinctes des meurtres : elles forment le socle sur lequel repose la violence létale, normalisant la brutalité policière et installant l’impunité comme règle.

La violence d’État ne se limite pas à l’acte policier lui-même, elle se prolonge également dans le traitement médiatique qui criminalise les victimes, dans les procédures judiciaires qui blanchissent les responsables, et dans l’indifférence institutionnelle imposée aux familles endeuillées. Face à ces violences répétées, l’État belge réprime et protège ses agents, plutôt que de s’interroger sur comment éviter les meurtres, réprime plutôt que de protéger, et perpétue ses logiques racistes profondément ancrées dans son appareil répressif et institutionnel.

Christophe, Fabian, Jidel, Adem, Mahmoud, Adamo : leurs noms doivent résonner comme autant de rappels que la lutte contre la violence d’État se doit de continuer. Ces meurtres nous invitent aussi à poser une question plus fondamentale : peut-on réellement mettre fin aux violences policières sans remettre en cause l’État lui-même qui les produit et les perpétue ? C’est donc nécessairement questionner la légitimité de l’État à exercer cette violence, et plus largement remettre en cause l’organisation sociale qu’il impose et protège.

Mais ces noms ne sont que ceux qui ont pu être documentés, ceux dont les familles ont eu la force de porter la lutte, malgré l’épuisement et la douleur. Combien d’autres personnes subissent quotidiennement des violences sans que leurs histoires ne soient connues ? Derrière ces cas médiatisés se cache une réalité plus massive : celle d’un système de violence structurelle qui broie des existences.

Sources :

Ligue des Droits Humains, 2022. Courses-poursuites par les forces de police : un débat sur leur légitimité s’impose https://www.liguedh.be/courses-poursuites-par-les-forces-de-police-un-debat-sur-leur-legitimite-simpose/

Bruxelles dévie, 2025. Justice et vérité pour Adamo : de nouveaux éléments dans le meurtre policier.

Bruxelles dévie, 2025. Violences policières : la police tue Fabian, 11 ans. retour sur les faits.

Bruxelles dévie, 2025. Violences policières : Mort d’un homme dans les marolles – récit médiatique à sens unique

Bruxelles dévie, 2025. La police poursuit et provoque la mort d’un jeun de 19 à Bruxelles.