culture – Nena, Médine, Kneecap : l’engagement dans la musique pris pour cible

   

Lors des récentes Fêtes de Wallonie à Liège, la musicienne Nena a pris la parole sur scène pour dénoncer le génocide en Palestine et critiquer la ligne politique du président du MR, Georges-Louis Bouchez. Intimidations et menaces financières de la part des organisateur·rices s’en sont suivies. Cet épisode n’est pas isolé : Bruxelles, Anvers ou Namur ont connu des affaires similaires, où des artistes engagé·es ont été censuré·es ou déprogrammé·es. Pourtant la musique n’est pas qu’un divertissement : elle reflète une génération et reste un vecteur puissant de contestation. Entre artistes menacé·es après un concert, mots et keffieh interdits sur scène ou concerts annulés sous prétexte de sécurité, ces affaires posent la question : quelle place reste-t-il pour l’engagement dans l’art?

Lors des récentes Fêtes de Wallonie à Liège qui avaient lieu le week-end du 20 au 21 septembre, la musicienne Nena est montée sur scène et a pris position sur l’actualité politique, critiquant notamment la ligne du président du MR Georges-Louis Bouchez et dénonçant le génocide en Palestine. Après le concert, l’ambiance s’est tendue avec l’organisation : des personnes l’ont appelée et réclamé que l’artiste ne soit pas rémunérée sous prétexte de l’argent de « service public », la qualifiant de « dangereuse ». À peine vingt minutes après le concert, un journaliste est venu dans sa loge pour l’interroger. Loin de soutenir son droit à s’exprimer, les organisateur·rices ont jugé que « ce n’était pas l’endroit » pour un tel discours. L’artiste a ainsi été confrontée à des tentatives d’intimidation et à une attaque contre la liberté d’expression.  Elles illustrent une logique de dissuasion : prendre position en concert devient synonyme de risque administratif et financier.

Nena a réagi publiquement sur Instagram : « Moi je crois que chaque scène est un espace légitime pour dire ses colères, exprimer son désaccord, rappeler notre droit fondamental à la liberté d’expression. Un lieu où s’exerce la résist4nce, même s’ils veulent nous convaincre qu’on est là pour divertir et être apolitiques. »

Le 23 mai 2025, lors du Lotto Brussels Jazz Weekend, plusieurs artistes avaient invité des manifestant·es pro-Palestine à monter sur scène pour dénoncer le génocide en cours. Mais dès le lendemain, sous pression de la Ville de Bruxelles, les organisateur·rices ont imposé une interdiction stricte : aucun drapeau, aucun keffieh, et pas même le droit de prononcer les mots « Palestine » ou « génocide ». Dans le public, lorsque des spectateur·rices ont brandi des drapeaux palestiniens, la réponse fut immédiate : intervention violente de la police, tentatives d’arrestation et évacuation forcée.
Les artistes ont été sommé·es de choisir : se plier au « pas de politique » imposé par l’organisation ou risquer l’annulation pure et simple de leur concert, voire des représailles financières. Alejandra Borzyk, chanteuse du groupe Bodies, témoigne de cette pression : « Ils [l’organisation du festival] m’ont dit : “Cela pourrait ruiner ta carrière. Le bourgmestre pourrait bloquer le financement.” »

Choquée par cette injonction, elle a réagi publiquement : « Depuis quand la musique n’est-elle pas de la politique ? Depuis quand le jazz n’est-il pas politique ? »

En février dernier, Georges-Louis Bouchez s’en est pris au festival de musique Esperanzah! Son motif : ce festival était présent lors de la manifestation nationale contre les mesures du gouvernement Arizona qui vont appauvrir la population. « Mesdames et Messieurs, regardez à quoi partent vos impôts… il paraît que cela justifie un ministère de la Culture« , gronde-t-il, tout en estimant que la culture ne devrait « plus être politisée » et en répétant sa volonté de mettre fin au ministère qui lui est lié. Ces attaques s’inscrivent dans une offensive plus large du président du MR contre le milieu des arts et des médias, après l’annonce de réductions de dotations à la RTBF et la remise en question de l’utilité du ministère de la Culture.

Le festival floreffois a tenu à réagir par un communiqué: « Oui, Georges-Louis Bouchez a raison: Esperanzah! est engagé. Engagé, mais indépendant de toute organisation. Mais qu’il le veuille ou non, l’art est politique et ce depuis la nuit des temps. Depuis toujours, les artistes dénoncent les injustices, les abus de pouvoir, les dérives du système. À travers la musique, l’écriture, les films, le théâtre, et les arts en général, les artistes font émerger d’autres imaginaires« 

En Flandre, la municipalité d’Anvers a interdit en 2024 un concert caritatif pour la Palestine, au motif officiel d’éviter des risques pour la sécurité et de préserver le « lien entre communautés ». L’échevine de la culture, Nabilla Ait Daoud (N-VA), était déjà au centre de polémiques liées à des coupes budgétaires dans le secteur culturel. En effet, en 2022, elle a décidé d’annuler 750.000 € de subventions de projets pour les trois années suivantes. Suite à l’annulation de l’événement caritatif, elle a été accusée d’utiliser l’argument sécuritaire comme prétexte pour exclure une expression qu’elle jugeait indésirable. Invoquer la sécurité devient alors rapidement une porte de sortie pour des décisions qui relèvent davantage d’un choix politique que d’une obligation de protection publique.

L’exemple du rappeur Médine, déprogrammé du festival Les Solidarités à Namur en 2023 sur fond de polémiques françaises et de pressions politiques locales, montre le phénomène à l’œuvre depuis maintenant plusieurs années : l’« apaisement » invoqué par des organisateur·rices ou élu·es se traduit souvent par le retrait d’artistes publiquement engagé·es. Les conséquences ne sont pas seulement symboliques : elles pèsent sur la pluralité des programmations et signalent aux artistes que certains sujets, dont la Palestine ou les violences policières, restent tabous si l’on veut conserver subventions, scènes et visibilité. Les cas sont multiples en France : en 2025, le festival « Bien l’Bourgeon » en Isère a perdu une subvention de 4 000 € du Département après l’annonce de la venue de Médine. La même année, le festival Rock en Seine s’est vu retirer une subvention de 40 000€ en raison de la programmation du groupe irlandais Kneecap, qui critique l’état colonial d’Israël.

Face aux déprogrammations et pressions, des collectifs et initiatives de solidarité se mettent en place. En juillet 2025, plusieurs artistes internationaux, de Kneecap à Massive Attack en passant par Brian Eno, ont annoncé la création de l’Ethical Syndicate Palestine, un collectif visant à protéger les créateurs et créatrices ciblé·es pour leurs prises de position pour la Palestine. Ces mobilisations montrent que, pour nombre d’artistes, le silence forcé est inacceptable ; elles cherchent à créer des défenses juridiques, médiatiques et financières contre les campagnes de boycott et les actions en justice qui visent à les intimider.

Les histoires récentes illustrent que la posture de « neutralité » affichée par certaines institutions ou autorités peut servir à réduire l’espace politique de l’art et à maintenir un ordre établi raciste, sexiste et conservateur. Peut-on véritablement se réclamer de la neutralité lorsqu’on empêche de parler du génocide en Palestine ? N’est-on pas, dans ce cas, du côté des génocidaires qui cherchent à museler la contestation?

Ces événement mettent aussi en lumière la force de la solidarité entre artistes, festivals et publics, qui permet de protéger en partie l’espace culturel contre les pressions et la censure. La musique et les arts restent des lieux essentiels de dialogue, de contestation et de mémoire collective. Préserver leur liberté, c’est garantir que la diversité des opinions puisse s’exprimer, sans peur, et que la culture demeure un vecteur vivant de démocratie, de réflexion et critique sur notre société.

Sources :

https://www.rtbf.be/article/la-revue-de-presse-y-a-t-il-eu-censure-culturelle-a-anvers-11422926

https://www.lesoir.be/656266/article/2025-02-18/le-festival-esperanzah-repond-aux-nouvelles-attaques-de-bouchez-quil-le-veuille

https://www.rtbf.be/article/au-c-ur-d-une-polemique-medine-est-deprogramme-des-solidarites-a-namur-11244417

https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/030825/kneecap-massive-attack-brian-eno-ces-artistes-qui-se-mobilisent-pour-denoncer-le-genocide-gaza