
Face à la montée de l’islamophobie en Europe, le Collectif Contre l’Islamophobie en Europe (CCIE), basé à Bruxelles, fait l’objet d’une campagne de harcèlement judiciaire et de diabolisation politique qui interroge.
Le Collectif Contre l’Islamophobie en Europe (CCIE) est une association européenne de défense des droits humains basée à Bruxelles et de droit belge. Depuis sa création, cette organisation se consacre à documenter les discriminations et violences subies par les musulmans en Europe, accompagne les victimes et alerte les institutions sur la montée de l’islamophobie.
Pourtant, depuis plusieurs mois, le CCIE fait l’objet d’une offensive politique et judiciaire sans précédent qui interroge sur les limites de la liberté d’expression et d’association en Europe. Cette campagne, initiée par les autorités françaises, a imprégné le contexte politique belge. Dès 2021 en Belgique, Denis Ducarme (MR), dans une démarche absolument islamophobe, plaidait pour la dissolution du CCIE en déclarant : « Notre pays ne peut redevenir une zone de repli pour les islamistes« .

En mai 2025, plusieurs membres du CCIE se sont fait perquisitionner en France. L’association a dénoncé ces perquisitions comme « une tentative d’intimidation manifeste« , soulignant qu’elles n’étaient « justifiées par aucun fait grave et aucune menace imminente » et que « leur fonction est clairement politique« . Selon le CCIE, ces opérations visent à « délégitimer un travail de terrain et un engagement auprès des victimes, à installer un climat de peur autour des initiatives qui dénoncent l’islamophobie« .
L’escalade s’est poursuivie en juillet 2025 avec de nouvelles convocations en France, organisée en pleine période estivale alors qu’il avait été convenu lors des perquisitions de mai qu’aucune sollicitation n’aurait lieu avant la rentrée. Cette précipitation a été perçue par l’association comme révélatrice d’intentions politiques, d’autant que le gouvernement français s’apprêtait à relancer une proposition de loi contre « l’entrisme islamique« . Dans son communiqué du 29 juillet, le CCIE dénonce ouvertement cette instrumentalisation :
« Nous ne pouvons ignorer toutes ces questions alors que le gouvernement entend relancer, à la rentrée, une proposition de loi contre ‘l’entrisme islamique’, dans laquelle le CCIE est faussement désigné. Ce calendrier judiciaire, étrangement synchronisé avec une stratégie politique, montre que nous ne sommes pas face à une procédure normale, mais face à une opération politico-judiciaire visant à criminaliser une association engagée contre le racisme et l’islamophobie.«
Le 3 septembre 2025, des responsables du CCIE ont été placés en garde à vue pendant 24 heures puis mis sous contrôle judiciaire. Ils devront comparaître devant le tribunal correctionnel en mars 2026. Pour leur avocat, Sefen Guez Guez, « ce dossier est clairement politique« , pointant le fait que les responsables de l’association ont été interpellés suite à un signalement de l’ancien ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, aujourd’hui ministre de la Justice.
Cette synchronisation entre agenda judiciaire et calendrier politique s’est confirmée avec l’annonce, le même jour que les gardes à vue du CCIE, de la dissolution de l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH), un institut européen de formation d’imams basé en France. Cette dissolution, longtemps revendiquée par l’extrême droite française et notamment par Marion Maréchal, illustre selon les observateurs une stratégie plus large de démantèlement des institutions musulmanes européennes.
L’association souligne également que cette offensive s’inscrit dans un contexte plus large de durcissement des politiques sécuritaires françaises, surtout envers les populations minorisées, comme l’illustrent les « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance » (MICAS) mises en place pendant les Jeux olympiques de 2024, qui ont principalement visé des personnes de confession musulmane.

La dimension belge de cette affaire ne se limite pas au simple fait que le CCIE soit une association de droit belge basée à Bruxelles. La Belgique elle-même commence à être touchée par cette vague répressive, comme en témoignent plusieurs développements récents qui inquiètent les défenseurs des libertés associatives.
En juillet 2025, un rapport, communiqué à la presse, de la Sûreté de l’État belge (VSSE) a qualifié le Collectif pour l’inclusion et contre l’islamophobie en Belgique (CIIB) de « groupe de pression de tendance Frères musulmans« .
Ce rapport, rédigé par la capacité intégrée de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, reprend mot pour mot les accusations françaises et affirme que le CIIB « diffuse un narratif emprunté aux Frères musulmans qui tend à promouvoir l’idée d’une hostilité inhérente aux sociétés et États européens envers l’islam et les musulmans« .
Plus préoccupant encore, le rapport de la Sûreté de l’État considère que les activités des organisations liées aux Frères musulmans « représentent un risque pour les institutions publiques » et que leur volonté « d’influencer les politiques publiques en lien avec l’islam » relève « de l’ingérence« . Cette rhétorique, qui reprend les éléments de langage développés en France, semble annoncer une transposition sur le territoire belge des méthodes répressives expérimentées par les autorités françaises. Mais transpose également un narratif flou et dangereux autour des Frères musulmans, qui relève presque du complot.
La formation du gouvernement belge « Arizona » en octobre 2024 a marqué un tournant dans l’approche belge de ces questions. Ce gouvernement, dont on ne note plus sa complaisance envers les thématiques d’extrême droite, multiplie les déclarations et mesures qui inquiètent les associations de défense des droits humains, comme le projet de loi dissolution, surtout celles qui luttent contre le racisme, comme le CCIE.
Georges-Louis Bouchez s’est particulièrement illustré par ses déclarations controversées sur l’islam et l’immigration. Ses prises de position, qualifiées par ses détracteurs de « provocations islamophobes systématiques« , s’inscrivent dans une stratégie politique assumée de « durcissement » du discours sur ces questions.
Pour l’association Bruxelles Panthères, ces déclarations « ne sont pas des ‘provocations médiatiques‘ : ce sont des menaces politiques directes contre nos droits et nos existences« .
L’association Bruxelles Panthères, dans sa déclaration de soutien au CCIE publiée le 2 septembre 2025, alerte sur cette contagion répressive :
« Nous le savons : ce qui commence en France traverse toujours la frontière. La dissolution du CCIF hier, la criminalisation du CCIE aujourd’hui, annoncent demain la répression d’associations et de collectifs belges.«
Cette évolution du paysage politique belge s’est traduite par des menaces concrètes pesant sur plusieurs associations. Le gouvernement Arizona a ainsi brandi la menace de dissolution contre Samidoun, organisation de solidarité avec les prisonniers palestiniens, et nul doute que ces menaces pèseront bientôt sur d’autres organisations antiracistes.
La menace de retrait du statut de réfugié à Mohamed Khatib, porte-parole de Samidoun, illustre cette nouvelle stratégie répressive qui utilise les outils administratifs pour faire pression sur les militants antiracistes.

Cette offensive politique et juridique s’inscrit dans un contexte européen de montée des actes islamophobes. Les statistiques sont alarmantes : selon le CCIE, en 2022, l’organisation a recensé 828 actes antimusulmans en Europe.
Les chiffres révèlent une dégradation continue de la situation des musulmans européens, qui subissent une discrimination croissante dans tous les domaines de la vie sociale.
Un récent rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) confirme cette tendance alarmante : 47% des musulmans européens déclarent avoir été victimes de discrimination raciale, 39% de discrimination au travail et 35% de discrimination dans l’accès au logement.* Ces chiffres, qui reflètent une réalité vécue par des millions d’Européens, contrastent avec la sous-évaluation persistante de ce phénomène par les autorités nationales.
En France, pays à l’origine de l’offensive contre le CCIE, les actes islamophobes enregistrés sur la période janvier-mai 2025 ont augmenté de 75% par rapport à 2024, avec un triplement inquiétant des atteintes aux personnes**. Cette violence ne se limite pas aux statistiques : elle s’incarne dans des actes d’une gravité extrême, comme l’assassinat d’Aboubakar Cissé dans la mosquée de La Grand-Combe en avril 2025, ou dans des actes de provocation organisés, comme la découverte de têtes de cochon devant neuf mosquées d’Île-de-France en septembre 2025.
En Belgique, des incidents révélateurs de ce climat se multiplient. En juin 2025, la mosquée Al Kafaalah d’Anvers a reçu une lettre de menaces contenant une balle en plastique et un message explicite : « Kill Muslims« . Cet incident, loin d’être isolé, s’inscrit dans une série d’actes d’intimidation qui visent les lieux de culte musulmans à travers le pays.
Face à ces pressions, le CCIE appelle à la mobilisation. Dans son communiqué du 14 mai 2025, l’association réaffirme :
« Depuis sa création, notre collectif documente les discriminations et violences subies par les musulman·e·s en Europe. Nous accompagnons des victimes, produisons des analyses, alertons les institutions. Ce travail, reconnu et relayé dans de nombreux espaces, dérange parce qu’il met en lumière ce que certains tentent d’invisibiliser : l’ancrage structurel de l’islamophobie dans les politiques publiques et les discours médiatiques dominants.«
L’association insiste sur la légitimité de son action : « Ce qui est visé aujourd’hui, c’est la légitimité même d’une parole critique. Nous appelons donc à la solidarité et au refus de toute normalisation de ces pratiques.«
« Ce qui est en jeu dépasse le CCIE. C’est une stratégie européenne de démantèlement de l’antiracisme politique : dissoudre les organisations musulmanes, criminaliser la solidarité avec la Palestine, intimider les collectifs décoloniaux et antiracistes, présenter chaque voix critique comme une ‘menace pour la sécurité nationale’. » Bruxelles Panthères
Cette analyse trouve un écho dans les transformations plus larges du paysage politique européen. La montée des partis d’extrême droite, observée lors des élections européennes de 2024, s’accompagne d’une normalisation progressive de leurs thématiques dans les discours des partis traditionnels. Cette « droitisation » du débat public européen crée un contexte favorable à l’adoption de mesures répressives qui auraient été impensables il y a encore quelques années. Le CCIE, dans ses différents communiqués, ne cesse d’alerter sur cette évolution : « On ne peut que s’inquiéter d’une justice instrumentalisée à des fins de communication politique contre une organisation des droits de l’homme.«
Légende :
*rapport européen : BEING MUSLIM IN THE EU, European Union Agency for Fundamental Rights, octobre 2024.
** Rapport annuel du CCIE sur l’islamophobie en Europe, CCIE, 2024
sources :
Le Vif. (9 juillet 2025). Pour la Sûreté de l’État, le Collectif contre l’islamophobie et les Frères musulmans sont liés. https://www.levif.be/belgique/pour-la-surete-de-letat-le-collectif-contre-lislamophobie-et-les-freres-musulmans-sont-lies/
Le Soir. (9 juillet 2025). La Sûreté de l’État lie le Collectif contre l’islamophobie aux Frères musulmans. https://www.lesoir.be/686757/article/2025-07-09/la-surete-de-letat-lie-le-collectif-contre-lislamophobie-aux-freres-musulmans
Révolution Permanente. (7 septembre 2025). Islamophobie d’État : des membres du CCIE à nouveau mis en garde à vue. https://www.revolutionpermanente.fr/Islamophobie-d-Etat-des-membres-du-CCIE-a-nouveau-mis-en-garde-a-vue
Stuut. Déclaration de soutien au CCIE https://stuut.info/Bruxelles-Pantheres-Declaration-de-soutien-au-CCIE-7788
CCIE. (29 juillet 2025). Nouvelles convocations des responsables du CCIE. https://ccieurope.org/2025/07/29/nouvelles-convocations-des-responsables-du-ccie/
Le Monde. (10 septembre 2025). Les têtes de cochon déposées devant des mosquées en Île-de-France l’ont été par des étrangers ayant quitté le territoire, annonce le parquet de Paris. https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/09/10/les-tetes-de-cochon-deposees-devant-des-mosquees-en-ile-de-france-l-ont-ete-par-des-etrangers-ayant-quitte-le-territoire-annonce-le-parquet-de-paris_6640341_3224.html
7sur7. (11 septembre 2025). Une mosquée d’Anvers reçoit une lettre menaçant les fidèles de mort avec une balle à l’intérieur : « de la haine pure et dure ». https://www.7sur7.be/belgique/une-mosquee-d-anvers-recoit-une-lettre-menacant-les-fideles-de-mort-avec-une-balle-a-l-interieur-de-la-haine-pure-et-dure~a5cf4367/
