
À Bruxelles et ailleurs en Belgique, plusieurs épisodes violents impliquant des forces de l’ordre ont marqué l’été 2025. Étudiant·es, jeunes femmes, passager·es de train : les victimes ont en commun d’être des personnes racisées. Les vidéos et témoignages qui ont circulé montrent le racisme banalisé dans les pratiques des forces de l’ordre et de sécurité.
Chez elles, dans l’espace public, dans les transports, les personnes non blanches ne sont pas protégées par les agents de l’État. Au contraire, elles sont continuellement mises en danger, et criminalisées si elles osent se défendre.
Retour sur trois affaires qui ont suscité l’indignation cet été.
27 juillet 2025 : un étudiant frappé chez lui par la police
Durant la nuit du 27 au 28 juillet, Oussama Haddade, 22 ans, pense surprendre un cambrioleur à son domicile. Il frappe l’intrus, qui s’avère être un policier. Dès qu’il s’en rend compte, Oussama s’arrête. Rapidement, plusieurs agents l’embarquent et les violences se multiplient. Selon le jeune homme, ses collègues auraient alors décidé de se venger.
“Ce qu’on m’a fait, c’est abominable… J’ai des trous dans les cheveux et j’ai une sale gueule. J’ai des bleus partout dans le corps. J’ai une côte cassée. Pourquoi ? Pour avoir défendu mon domicile.”
Oussama a tenté d’expliquer la confusion aux collègues du policier. Mais ceux-ci ne l’ont pas écouté et l’ont immédiatement embarqué dans une voiture de police.
« Dès que je suis rentré dans la voiture, directement, c’est parti en une scène de torture. […] Des coups de poing au visage et des coups de coude. Des insultes racistes : Tu es cuit. Tu vas mal finir après ce que tu as fait à notre collègue, tu vas le regretter. C’est comme ça avec vous, les Arabes de merde.”
À un moment, la voiture s’arrête :
« Je ne sais pas où ils m’emmènent. Mais le policier à mes côtés me repasse à tabac. Et c’est là que le conducteur a dit à son collègue : ‘Casse lui les côtes.’ Et j’ai reçu des coups de coude dans les côtes, dans le dos. Il m’étrangle pour ne pas que je crie…«
Finalement conduit aux urgences à l’hôpital UZ Brussel à Jette, Oussama pense que le calvaire est terminé. Mais deux policiers l’emmènent dans une pièce isolée, sans fenêtres, où les coups reprennent. « Ils me posent sur la chaise. Le policier qui était assis à l’arrière dans la voiture dit à son collègue qui était au volant : ‘C’est à ton tour. Si tu veux t’amuser, c’est maintenant.’ » Oussama explique par ailleurs que le personnel de l’hôpital témoin ne lui est pas venu en aide.
8 août 2025 : violences Sécurail lors d’un contrôle de billets
Une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux montre deux femmes norvégiennes d’origine congolaise plaquées au sol par des agents de Sécurail lors d’un contrôle de billets en gare de Bruxelles-Nord. L’intervention, débutée à l’intérieur du train, s’est poursuivie sur le quai dans une grande agressivité. Sur les images, on entend un agent lancer à l’une des passagères: « Je vais t’arracher le bras » tout en la plaquant sur le sol. Les deux voyageuses étaient accusées de voyager sans titre de transport valable et d’être en possession de faux papiers, ce qui s’est révélé être faux.
Pourtant, les femmes avaient tenté d’acheter des billets à la gare de Vilvoorde mais l’automate pour acheter des billets était en panne. L’une d’elles en aurait informé l’accompagnateur du train, en lui proposant de payer directement à bord. Celui-ci aurait refusé. La passagère finit par acheter deux billets en ligne, mais ceux-ci ne seront jamais contrôlés.
Les deux femmes voyageaient en compagnie d’une proche belge détentrice d’un abonnement en règle. L’accompagnateur puis les agents de Sécurail ont mis en doute l’authenticité des papiers des deux femmes. Plus tard, l’authenticité des passeports sera pourtant confirmée par l’enquête.
À leur arrivée à Bruxelles-Nord, plusieurs agents de Sécurail montent à bord. « Ils se sont montrés immédiatement agressifs », affirme l’avocate, qui dénonce un « abus de pouvoir » lié au contrôle des passeports. Les passagères sont sommées de descendre du train. L’une d’elles, paniquée, se met à crier. Elle est aussitôt plaquée à plat ventre, menottée et maintenue au sol jusqu’à l’arrivée de la police. Un des agents leur dit « je vais t’arracher le bras ». Le plaquage ventral est une pratique dangereuse, qui a déjà fait plusieurs morts et blessés, et elle est interdite dans de nombreux pays pour sa dangerosité.
Selon le parquet de Bruxelles, « des coups auraient été échangés : l’un par une personne impliquée, l’autre par un agent de Sécurail ». Deux procès-verbaux ont été établis : l’un à l’encontre d’un agent Sécurail pour coups et blessures, l’autre visant une des passagères pour rébellion.
La suspicion systématique envers la légitimité des papiers d’identité de personnes non blanches est une forme de racisme. Les corps non blancs sont présumés illégitimes dans l’espace européen, et leur présence doit être justifiée ou prouvée, peu importe leur nationalité administrative effective.
Pour l’avocate Selma Benkhelifa, il s’agit de violences aggravées par une attitude raciste. Elle a annoncé vouloir saisir Unia, l’institution belge de lutte contre les discriminations, ainsi que l’ambassade de Norvège.
11 août 2025 : violences à Blankenberge
Deux femmes bruxelloises, de 19 et 21 ans, ont été arrêtées à Blankenberge le 11 août par des policiers leur reprochant leur tenue prétendument indécente, car elles portaient un bikini en rue. D’après le récit policier et le parquet de Flandre Occidentale, qui a été relayé dans la presse, les deux femmes auraient frappé les agents, ce qui justifierait leur arrestation.
La version des jeunes femmes est toute autre. Elles expliquent qu’elles ont dans un premier temps présenté leurs papiers d’identité. Par la suite, un des policiers a frappé le téléphone d’une des amies qui filmait la scène, avant de gifler l’une d’entre elles. Ce n’est qu’après ces violences initiales, insistent-elles, qu’elles se sont défendues.
Le fait que ces deux jeunes femmes aient été interpellées, alors que d’autres passant·es en maillot de bain circulaient également dans les rues, relève de la misogynoir* : les femmes ont été interpellées et violentées parce qu’elles sont noires et parce qu’elles sont femmes.
Non seulement le simple fait de les contrôler pose question, mais en plus, plutôt que de verbaliser ou de calmer la situation, les agents ont choisi une interpellation agressive et ont violenté les jeunes femmes. Elles doivent désormais répondre de rébellion ainsi que de coups et blessures volontaires.

Ces trois récits ne sont pas des incidents isolés. Ils s’inscrivent dans un continuum de violences institutionnelles racistes, profondément ancrées dans les pratiques policières et sécuritaires. Les corps non blancs, systématiquement perçus comme menaçants, déclenchent une force disproportionnée et souvent illégitime.
L’ONU a récemment pointé du doigt le racisme systémique en Belgique, « à l’encontre des Africains et des personnes d’ascendance africaine ». Les trois cas exposés ici montrent bien à quel point ce racisme sévit dans tout type de lieu, et pour des motifs aussi arbitraires que diversifiés.
La brutalité exercée contre Oussama, les femmes norvégiennes d’origine congolaise et les jeunes femmes de Blankenberge est l’héritage d’un prisme colonial où la violence d’État contre les colonisé·es était non seulement tolérée mais encouragée. Les forces de l’ordre et de sécurité perpétuent une forme de « colonialité interne » où les descendant·es des colonisé·es, même citoyen·nes belges ou européen·nes, restent perçu·es comme des sujets coloniaux à maintenir sous contrôle.
Dans de nombreux cas, les victimes de violences institutionnelles racistes tentent de se défendre. En 2024, 7 plaintes par jour ont été déposées auprès du Comité P*. Parmi toutes les plaintes de 2024, 64 visaient spécifiquement la zone Ouest de Bruxelles, zone dont font partie les policiers qui ont tabassé Oussama, mais les réactions institutionnelles ne cessent de se faire attendre, et les violences policières continuent de se multiplier.
Les violences contre les corps non blancs ne sont pas prises au sérieux. La parole des victimes pèse moins que celle des agents, et elles sont souvent criminalisées pour justifier ces violences.
En effet, les personnes non blanches violentées sont décrites comme « violentes », « dangereuses » ou « agressives » alors que ce sont elles qui subissent l’agression. Les rôles sont inversés pour servir le récit des forces de l’ordre et justifier ses abus et violences.
En témoigne l’affaire de K. Boutaffala : en 2018, cet homme avait été victime de violences policières lors d’une interpellation à Bruxelles. Pourtant, la justice l’avait condamné pour rébellion, considérant sa parole moins crédible que celle des policiers. En juin 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Belgique pour ne pas avoir garanti un procès équitable à K. Boutaffala, mettant en lumière la hiérarchie de crédibilité qui pèse souvent contre les victimes racisées.
Tant que les imaginaires coloniaux et racistes continueront d’influencer nos institutions, les personnes racisées resteront exposées à des violences répétées et à des mécanismes de justification de la force qui les empêchent d’obtenir justice.
Les récits de cet été illustrent bien ceci : sans remise en question du racisme systémique et des pratiques qui le renforcent, notamment en matière de prétendue sécurité, la Belgique continue de reproduire ces injustices.

Sources :
Haut commissariat des Droits de l’Homme, Nations Unies, https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2025/06/belgium-independent-un-body-finds-systemic-racism-against-africans-and
Haut commissariat des Droits de l’Homme, Nations Unies, https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2025/06/belgium-independent-un-body-finds-systemic-racism-against-africans-and
Légende :
*La misogynoir est une forme de discrimination à l’intersection du racisme et du sexisme. C’est un concept créé par Moya Baily, féministe noire et queer, qui l’utilise pour décrire une misogynie dirigée spécifiquement envers les femmes noires en Amérique et dans la culture populaires (dès 2010). Il pour désigne la forme spécifique d’oppression qui frappe les femmes noires, combinant racisme et sexisme. Leurs corps sont simultanément hypersexualisés et perçus comme une menace à l’ordre public, justifiant un contrôle policier que ne subissent pas les femmes blanches dans la même situation. La misogynoir explique pourquoi elles ont été ciblées, interpellées et violentées spécifiquement : parce qu’elles sont noires ET parce qu’elles sont femmes.
*Le Comité P
