Polémiques à Molenbeek et Jette – le racisme ordinaire en politique belge

À Molenbeek comme à Jette, les conseils communaux se transforment en champs de bataille idéologiques où les femmes racisées paient le prix fort. Ces dernières semaines, deux élues bruxelloises, Saliha Raïss (Vooruit) et Leila Agic (PS), ont été la cible d’attaques politiques teintées de racisme et d’islamophobie
Les récentes polémiques autour de Saliha Raïss à Molenbeek et Leila Agic à Jette mettent en lumière une réalité : les femmes racisées, et particulièrement musulmanes, sont les cibles privilégiées d’attaques politiques et médiatiques dès qu’elles osent prendre la parole. Entre propos déformés, dénigrement systématique et récupération par la droite et l’extrême droite, ces affaires révèlent un climat politique où l’islamophobie, le racisme et le sexisme se conjuguent dangereusement.
Le 27 août, au conseil communal de Molenbeek, l’élue socialiste Saliha Raïss (Vooruit) intervient pour dénoncer des commentaires racistes et islamophobes publiés sous un post Facebook du MR. Ces messages visent notamment les femmes portant le voile, accusées d’incarner un « communautarisme menaçant » pour la commune par plusieurs commentaires racistes, reprenant la théorie du » grand remplacement » culturel et idéologique par les musulman·es en Europe.
Excédée, Raïss interpelle directement les élu·es du MR sur la banalisation de ces propos racistes en ligne :
«On le voit souvent et les commentaires restent, les conseiller·ères commentent et trouvent ça normal.»… «Si on dérange tant que ça, si on ne veut même plus nous voir, la Région compte 19 communes. Si à Molenbeek c’est si invivable, alors changez de bord, allez ailleurs. Dégagez !»
Mais en quelques heures, ses propos sont sortis de leur contexte. Sur X, TikTok et Facebook, plusieurs comptes d’extrême droite diffusent une version coupée de la séquence, laissant croire que Saliha Raïss aurait déclaré que «les Belges doivent dégager».
La droite et l’extrême droite flairent immédiatement l’occasion de transformer cet extrait en preuve idéologique de la théorie du « grand remplacement« . Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, publie sur Twitter : «Voilà la notion de vivre ensemble selon la gauche…»

Son post récolte des milliers de réactions, souvent accompagnées de commentaires haineux. La députée Daria Safai (N-VA) surenchérit en dénonçant le voile comme «le symbole d’une idéologie qui relègue les femmes à un sexe de seconde zone», avant de rappeler la nécessité de préserver la « neutralité de l’État » face à ce qu’elle présente comme une «menace islamique». Elon Musk, fervent défenseur de l’apartheid en Afrique du sud et des suprémacistes blancs aux Etats Unis, s’interesse lui aussi du sort des belges que « Saliha menace » en Belgique….


Ainsi, une intervention destinée à condamner le racisme se retourne contre celle qui l’a prononcée.
La victime devient coupable, et le débat se déplace : on ne parle plus des propos haineux sous la page du MR, mais du «danger» que représenterait une élue musulmane pour le «vivre-ensemble».

L’affaire Molenbeek n’est pas isolée. Quelques jours plus tôt, au conseil communal de Jette, un nouvel incident éclate. Lors d’un débat sur la présence du drapeau palestinien à l’hôtel communal, le chef du groupe MR-Open VLD, Olivier Corhay, compare le drapeau palestinien à « celui d’un mouvement terroriste » avant de qualifier Leila Agic, cheffe du groupe PS, de «terroriste» selon une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
«Bravo, vous dites enfin ce que vous pensez. Je m’appelle Leila, donc je suis une terroriste !»
Scandalisés, les élus PS, PTB et Team Fouad Ahidar quittent la salle. Dans un communiqué, Widad Temsamani, conseillère communale, dénonce des propos «profondément choquants» et rappelle :
«Non, le peuple palestinien n’est pas le Hamas. Faire cet amalgame revient à cracher sur les milliers de civils innocents victimes d’un État génocidaire.»
Un schéma récurrent
Ces deux affaires ne sont pas isolées. Elles s’inscrivent dans un schéma récurrent :
-> Les femmes racisées, musulmanes ou perçues comme telles, sont disqualifiées selon leur identité
-> Lorsqu’elles dénoncent des discriminations, leurs paroles sont détournées pour les présenter comme agressives ou communautaristes.
-> Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la propagation de fausses informations, qui sont ensuite reprises par des responsables politiques de droite et d’extreme droite, qui alimentent des polémiques et une rhétorique anxiogène autour du vivre-ensemble et de la « menace islamique ».
Au-delà des cas de Molenbeek et Jette, c’est une question plus large qui se pose : peut-on encore exister en politique lorsqu’on est une femme racisée et/ou voilée ?
