Compte rendu : Procès des policiers condamnés suite à la mort de Ouassim et Sabrina

   

A la suite d’une longue bataille juridique, près de 6 années et demi après les décès, le procès des policiers mis en cause dans la poursuite de Sabrina El Bakkali et Ouassim Toumi qui à mené à leur mort s’est ouvert le 7 novembre 2023 au tribunal de police de Bruxelles, au 63 rue de la régence. Pour mieux comprendre les faits, et le déroulé de la course poursuite, nous vous invitons à visionner la contre enquête réalisée par le collectif Retrace.

Ce texte a été rédigé par plusieurs personnes présentent au procès. Nous étions attentif·ves, à différents moments, et nous n’avons individuellement pas pris note tout au long de la journée. Nous proposons ici un compte rendu le plus complet possible, mais qui ne sera pas exhaustif. Nous avons fait de notre mieux pour restituer ce procès, si vous avez des rectifications à nous faire parvenir, vous pouvez prendre contact avec nous.

Les personnes présentent au procès sont :

Pour la défense :

Les trois policiers accusés ;

  •  Gaston Dale, conducteur de la voiture poursuivante, patrouille 3346
  •  Samba Kane, passager de la voiture poursuivante, patrouille 3346
  •  Johnny Dewael, conducteur brigade canine 0369

Les avocats

  •  Maître Delcoigne qui défend les inspecteurs Dale et Kane (remplaçant de M. Sven Mary)
  •  Maître Haulotte qui défend le premier inspecteur Dewael
  •  Maître … avocat de Ethias assurance (l’assurance de la voiture percutée) (remplaçant de M. Lorent)

Pour la partie civile ;

  •  plusieurs membres de la famille des personnes décédées
  •  Maître Callewaert, qui défend la famille de Sabrina
  •  Maître Lambert, qui défend la famille de Sabrina
  •  Maître Lohisse qui défend la famille de Ouassim
  •  Maître …, avocat de AG assurance (l’assurance de la moto de Ouassim)

Du côté des jugeant·es

  •  Madame la juge Lannoy
  •  Le procureur du Roi …

9h, dans une salle comble, des personnes venues assister à l’audience sont assises au sol. Les portes sont restées ouvertes et on essaye d’écouter ce qu’il se dit à l’intérieur depuis l’extérieur. Il y a dans la salle des proches des familles de Ouassim et Sabrina, des journalistes, et des personnes venues soutenir les policiers accusés, des collègues et des proches. L’audience débute.

En premier lieu, la juge et présidente de l’audience madame Lannoy, fait remarquer que maître Delcoigne n’a pas rendu ses conclusions par écrit, ce qui ne la rend pas obligée d’écouter sa plaidoirie. L’avocat répond : « Je ne doute pas que vous le ferez. »

Le procès s’ouvre sur l’instruction de la juge sur les 3 policiers impliqués. Elle leur pose des questions sur leurs déroulé de l’histoire. Les questions de madame la présidente seront indiquées en gras et à la suite des « • » .

    • Est-ce que vous pouvez me raconter votre version des faits ?

[Policier] Dans les rue de Ixelles, la première patrouille constituée des inspecteur Dale et Kane ont repéré la moto de Ouassim Toubi, qui roulait vite, et ont remarqué que la passagère, Sabrina El Bakkali, ne portait pas de chaussures adéquates. Ils ont commencé à les suivre direction place Flagey, ont repéré un oubli de clignotant lors du tournant dans l’avenue Géo Bernier et ont voulu procéder à un contrôle. La moto ne s’est pas arrêtée, ils ont alors décidé d’entamer une course poursuite et en informent le dispatching. La plaque d’immatriculation est contrôlée et ils connaissent maintenant l’identité du propriétaire, et savent que la moto n’est pas signalée comme volée. C’est à ce moment là que le 3ème policier, 1er inspecteur de la brigade canine1 monsieur Dewael, décide de son propre chef d’intégrer la poursuite. Il promenait son chien policier au bois de la Cambre et il prévient qu’il intègre la course en sortant du bois.

Interrogé à son tour, l’inspecteur Dale mentionne alors un nouvel élément, jamais évoqué auparavant : on l’aurait informé à la radio, pendant la course poursuite, que « Ouassim aurait l’habitude d’être armé et d’agir en bande, serait connu pour plus d’une vingtaine de faits ». Ouassim « ressort en rouge à la BNG2 », « à cette époque [en 2017], nous étions en niveau 3 d’alerte attentat ». Cet argument et cette information ont été déclarés comme irrecevable par madame la juge Lannoy lors de son prononcé le 5 décembre. Elle a expliqué que l’information était arrivée trop tard dans le procès et qu’il n’y avait pas de preuve que les policiers l’aient reçu durant la course poursuite. Par ailleurs, Samba Kane, policier passager et en charge de la communication radio, ne peut pas certifié d’avoir appris avant ou après l’accident que Ouassim était signalé en rouge. Dewael, ne peut lui non plus pas confirmer, il aurait été trop occupé à charger son chien et démarrer pour s’en rappeler.

La moto de Ouassim et Sabrina s’engage sur l’avenue Louise, roule très vite, fait demi tour à plusieurs reprises dont une dernière fois sur la place Poelaert, en prenant le rond point en sens inverse, et en repartant en direction du bois de la Cambre. L’inspecteur Dewael, qui conduit le véhicule de la brigade canine, décide d’aller se placer à la sortie du tunnel Bailli car « des demis tours ça arrive souvent dans les courses poursuites ». Il se poste à un endroit qu’il décrit lui-même comme « dangereux », en franchissant une ligne blanche et une zone hachurée. Il est en code 3 (feux et sirènes allumés). La voiture poursuivante l’aperçoit au loin, sans savoir si elle est en mouvement ou à l’arrêt. L’inspecteur Dewael dit voir le phare de la moto se rapprocher, puis a un trou noir car il sera blessé par l’impact. Il mentionne aussi que lorsqu’il est sorti de la voiture, il pensait avoir eu un accident avec la mauvaise moto car il n’a vu que le corps de Ouassim. Celui de Sabrina avait été projetée plusieurs mètres plus loin.

    • Est ce que vous avez suivi une formation en course poursuite, avez-vous de l’expérience dans ce domaine ?

Dale, conducteur : pas de formation concernant la poursuite de véhicule, une expérience de 10 ans de terrain et 2-3 courses-poursuites. Il n’y a en général pas de débriefing, de remarques, ou de discussions après.

Kane, passager de Dale : pas de formation ni d’expérience concernant la poursuite de véhicule, 2 ans de service au moment des faits.

Dewael, conducteur du véhicule de la brigade canine : pas de formation concernant la poursuite de véhicule, 20 ans de carrière, expérience de terrain régulière en course-poursuite.

    • Pourquoi le suivre alors que vous aviez la plaque ?

Dale, conducteur, dit qu’il n’est pas certain de bien l’avoir lu, que Sabrina et Ouassim s’apprêtaient peut-être a commettre un délit et que Ouassim avait une conduite inadaptée. Il proclame que malgré le stress et l’adrénaline, il a pu penser au risques encourus, mais que vu que la sirène et les lumières étaient en marche, ça attirait suffisamment l’attention pour que les autres usagers de la routent restent prudent et laissent la place. Il pensait aussi que Ouassim allait finir par s’arrêter.

Kane, passager, dit qu’il n’a fait aucune remarque sur la conduite dangereuse.

    • Est ce que la centrale vous a demandé de les poursuivre ou vous avez pris la décisions seuls ?

Dale et Kane disent qu’ils n’ont pas reçu d’ordre de se lancer dans cette course poursuite par la centrale et ont donc décidé seuls, ça leur semblait évident. Kane souligne qu’il y a eu très peu de communication entre eux.

Dewael, déclare s’être naturellement lancé dans cette course poursuite car c’est le rôle de la brigade canine d’assister les collègues. Il décide de se mettre à la sortie du tunnel sans en informer la centrale (ne demande pas non plus le motif de la course poursuite, ni la position de la voiture, ni celle de la moto). Il dit qu’il ne veut pas encombrer les ondes, la priorité c’est la communication entre la voiture poursuivante et la centrale. Les autres ne communiquent jamais dans ces cas là. Il se positionne à cet endroit car il sait que la moto a fait demi-tour place Poelaert, mais dit ne pas être sur qu’elle passera par là car il y aurait beaucoup d’intersections que Ouassim aurait pu prendre entre lui et la place.

    • Questions autour de la position de Dewael

Il répond que c’est pour éviter que d’autres voitures s’engagent dans les tunnels et ralentir la circulation. Il ne trouve pas d’explications à son positionnement aussi près de la sortie.

    • Avec le recul est ce que vous estimez avoir correctement évalué la situation ?

Les trois affirment qu’avec le recul ils ont bien évalué la situation. Les trois sont encore en fonction, Kane toutefois a quitté le terrain pour du travail de bureau à Ixelles.

Viens maintenant les plaidoyers de la partie civile, les avocat·es des familles de Ouassim et Sabrina :

Maître Callewaert : Elle commence sa prise de parole par parler de Ouassim et Sabrina comme un jeune couple heureux et fiancé, qui suivent des cours de gestion d’entreprise et avaient le projet de lancer un centre de soin ensemble. Tout le monde parle d’elleux en bien et aucun caractère suicidaire n’était signalé chez elleux. 

Puis, elle revient sur les faits et remarque que le terme « vitesse inadaptée » n’est pas clair, que ça ne semble pas être toujours le cas (tout le monde est d’accord pour dire qu’il s’est arrêté à un feu rouge, ce qui implique une vitesse maîtrisée). Elle souligne que c’est la première fois que les policiers parlent de la nécessité d’arrêter la moto pour la sécurité des passants, et que l’argument du signalement de Ouassim en code rouge n’avait jamais été mentionné en 6 ans et demi de procédures. 

Elle remarque qu’il y avait jusqu’à 5 voitures impliquées dans cette course, ce qui parait tout a fait démesuré pour l’ampleur des infractions constatées (défaut d’équipement et absence de clignotant). Elle mentionne un témoin, Fabrice de la Lande, qui décrit ce qu’il voit comme « une chasse à l’homme » et qui estime que les possibilités d’arrêter cette moto sans dommage étaient nulles.

Elle reproche à Dewael d’être en code 3 sans connaître la raison de la course poursuite. Elle va ensuite s’attarder sur le fait qu’on ne sait pas exactement quand il s’est positionné à la sortie du tunnel. La voiture poursuivante l’aurait vue parce qu’elle n’était pas encore entrée dedans. Quant à Ouassim, qui roulait à certains moments jusqu’à 200m mètres devant la voiture de police qui le poursuivait, il était probablement déjà sous terre, et aurait donc vu la voiture au dernier moment. Elle fait remarquer que la mise en situation faite dans le cadre de l’enquête n’est malheureusement pas une reconstitution correcte et est très approximative car faite avec une voiture et non une moto sportive (la position penchée en avant donne une vue différente). La reconstitution assume aussi que la voiture de Dewael était là depuis un bon moment et ne prend pas en compte la possibilité qu’elle se soit postée au dernier moment. Elle reconnaît que Ouassim n’aurait pas dû fuir le contrôle et qu’on ne saura jamais pourquoi il a réagi comme ça. Elle évoque a demi-mot qu’il aurait pu avoir peur d’un contrôle.

Maître Laurent : Elle va plus spécifiquement parler du ratio légitimité-proportionnalité-nécessité, ainsi que du code de la route et des directives du comité P en matière de course poursuite. 

Elle informe qu’à l’époque des faits, le code de la route ne permettait pas de dérogation pour les véhicules prioritaires pour :

  •  rouler a une vitesse excessive,
  •  inciter d’autres véhicules à rouler à une vitesse excessive
  •  franchir une ligne blanche continue.

Depuis, la loi a changé et ces infractions sont dépénalisées. Elle souligne qu’en plus d’avoir franchi une ligne blanche et une zone hachurée, la voiture de Dewael n’atteint pas ses objectifs, car elle ne bloque pas l’entrée dans le tunnel suivant et ne ralenti pas la circulation. Elle constitue plutôt un blocage dangereux.

Concernant la légitimité, elle remet en question la nécessité de cette course-poursuite. En effet, les faits reprochés à Ouassim et Sabrina ne sont que des délits mineurs. Elle fait remarquer aussi que selon le comité P, le fait de fuir un contrôle de police, ou le « refus d’obtempérer », ne doit pas constituer un facteur aggravant et motiver une poursuite. 

Concernant la nécessité, elle revient sur le fait qu’ils avaient déjà pris la plaque d’immatriculation, et par conséquent l’identité de Ouassim. Et ré-insiste sur le fait que c’est la première fois que les policiers parlent du fait que la moto représentait un danger pour les autres usagers de la route. 

Concernant la proportionnalité, elle parle du risque trop grand d’entamer une course-poursuite en milieu urbain et en particulier avec une moto.

D’autres remarques sont observées : 

Le comite P déclare qu’il ne faut pas poursuivre à tout prix et que la légitimité d’une course-poursuite doit être requestionnée à chaque instant. Elle signale aussi que ce n’est pas à chaque policier d’évaluer la proportionnalité prise-de-risques/besoin-d’arrestation mais qu’il y a des règles et que celles-ci ne semblaient pas être respectées.

Enfin, elle affirme que c’est a cause de la course poursuite que la moto a accéléré et qu’il y a eu l’accident, c’est donc de la responsabilité des policiers si Ouassim et Sabrina sont morts.

Maître Lohisse appuie les arguments de ses consœurs. 

Les avocat·es de la partie civile demandent 30 000€ par parent et 15 000€ par frère et sœur (dans ce genre de procès, pour infraction de la route, la partie civile ne peut demander que de l’argent et non des peine). Toutefois, ces sommes sont supérieures à celles prévues dans la loi pour les cas d’homicide involontaire. Elles s’appuient pour cette demande sur un cas de jurisprudence d’un braqueur tué par la police il y quelques années. 

La famille de Ouassim réclame l’argent à l’assurance Ethias. Celle de Sabrina aux policier eux-mêmes, en demandant de reconnaître leur responsabilité.

La parole est laissée aux parties civiles :

Les frères et sœurs de Ouassim ont parlé. La mère et le frère de Sabrina ont pris la parole et demandé à la juge de rendre justice. Iels partagent leur chagrin avec la salle. La sœur de Ouassim, s’est adressée aux trois policiers pour leur dire que sa mère pleurait tout les jours depuis la mort de son fils. 

La parole est donnée au procureur :

Le procureur du roi représente les intérêts de la société, de l’état. Il demande les peines et est assis à cote de la juge présidente. Il parle de manière très soutenue tout le long de son argumentaire. 

Il commence en faisant savoir qu’il a bien étudié le dossier, qu’il constate un drame humain tragique, mais ajoute que le tribunal n’est pas là pour guérir les personnes endeuillées de tous leurs maux, ni de panser leurs plaies. Il dit que la réalité est vue de deux manières très différentes, voir opposées dans ce procès, et que lui cherche l’exactitude. Il fait un laïus sur le droit, qui serait une science, et donc, comme un bon scientifique, il a tenté de démentir ses hypothèses de départ, de réduire les biais et les interprétations de la réalité. 

Il relate de nouveau le déroulé des faits : Sabrina et Ouassim partent de la place Flagey, roulent vite et sans équipement de sécurité et donc attirent l’attention d’une patrouille. La moto s’arrête au feu, les policiers allument leurs sirènes et veulent procéder à un contrôle. C’est à ce moment que Ouassim prend la fuite et que les infractions plus signifiantes commencent (prise d’un sens interdit sur le rond point, brûlage de feu et vitesse très élevée). De là, on peut retracer les évènements grâce à la radio de la police, et on constate qu’il faudra 2 minutes et 22 secondes entre le début de la course poursuite et l’accident, dit-il.

Débutent alors les arguments en défaveur des victimes : il prétend que la durée de la course poursuite est trop courte pour pouvoir la qualifier de « à tout prix », que le drame est arrivé si vite qu’on ne peut pas dire que les policiers se soient acharnés. Il souligne à plusieurs reprises la capacité d’accélération de la moto. Il confirme que le fait de fuir après le feu est un comportement suspect, et qu’à cause du casque, les policiers ne pouvaient pas être surs que c’était effectivement Ouassim qui conduisait. Il nous informe avoir vérifié, lors de la pause, auprès du commissaire Veurvot, le signalement de Ouassim à la BNG et confirme donc les déclarations calomnieuses de l’inspecteur Dale. Il dit qu’il serait effectivement connu pour de nombreuses arrestations, menaces, ports d’armes et possession de stupéfiant (c’est une confirmation orale, la juge dit ne pas avoir reçu de preuve écrite pour l’instant). Il observe que la voiture de Dewael ne peut pas être considérée comme un barrage, car on peut l’éviter à gauche (où il y avait toute la bande d’à côté) et même à droite (où il y avait un court espace pour l’éviter). Il dit aussi que tout s’est passé très rapidement, qu’il [Dewael] n’avait pas le temps de réfléchir, et a donc fait de son mieux. Il se permet de confier qu’il aurait préféré retirer le permis de Ouassim dans ce même tribunal pour sa conduite inadaptée, et insiste sur le fait que ce ne soit pas juste pour Sabrina, qui n’avait rien demandé. Il ose déclarer que Ouassim serait l’unique responsable de leurs morts. Il termine enfin sa déclaration en soutenant que les policiers ont fait de leur mieux pour défendre la société. Il demande donc leur acquittement.

Certain·es membres des familles lèvent le ton, sont offusqués par le plaidoyer du procureur et quittent la salle d’audience.

La parole est donnée à la défense des policiers : 

Maitre , l’avocat de Ethias assurance, commence par s’exprimer au sujet des policiers qui conduisaient la voiture poursuivante. 

Premièrement, la course poursuite était justifiée. Ce n’est pas elle qui a mis en danger Ouassim et Sabrina. Deuxièmement, comment les policiers auraient-t-ils pu être sûrs qu’il s’agissait bien de Ouassim sous le casque ? Troisièmement, c’est Ouassim qui aurait mis Sabrina et lui-même en danger. Cette prise de parole se conclue par une requête d’acquittement.

Maître Delcoigne, l’avocat de Dale et Kane prend alors la parole. Après avoir expliqué l’honneur qu’il avait de défendre ces deux policiers, il commence par expliquer à madame la juge Lannoy que son jugement constituera un précédent pour la fonction policière, et que si elle en vient à condamner les policiers, cela constituera un passe-droit pour ceux qui veulent s’échapper à un contrôle policier. Il poursuit en expliquant que « le dossier n’a pas été ouvert car les chaussures étaient inadaptées et qu’il manquait un clignotant. Le point départ de cette course poursuite ne sont pas ces deux broutilles mais le comportement du motard ». Il insiste sur le fait que « prendre la place Poelaert à sens contraire, ce n’est pas une infraction de roulage, mais une entrave méchante à la circulation qui est punie d’une peine criminelle ». Il continue en indiquant par ailleurs que « tout officier de police placé dans les mêmes circonstances auraient dû réagir de la même manière. » 

Il commente ensuite dans son argumentaire la nouvelle information arrivée après 6 ans et demi de procédure, à savoir le fait que Ouassim serait connu des services de police : « C’est exact que c’est la première fois que monsieur Dale l’explique […] à quoi sert une instruction d’audience si elle ne sert pas à ce qu’un prévenu puisse expliquer des choses qu’il avait oublié d’expliquer, qui lui sont revenus entre-temps ? »

Madame la présidente Lannoy lève les yeux au ciel et indique qu’elle n’a toujours pas reçu ce fameux document.

Maître Delcoigne rebondit en disant que « en toute hypothèse, on sait que l’information est exacte » et poursuit en avançant que, si l’on considère que ces informations n’étaient pas connues au moment des faits, cela ne change rien, car quand quelqu’un prend tous ces risques, qu’est-ce qu’on attend de la part des policiers ? Est ce qu’ils devraient renoncer parce que le risque d’accident est trop grand ? Alors qu’on ne sait pas ce qu’il va se passer, qu’on ne sait pas ce que ces personnes s’apprêtent à faire ? « Je rappelle à madame la présidente, qu’on étaient en période d’attentat. Pour le même prix, sur la moto, dont on dit qu’il ne fallait pas la poursuivre, on a deux terroristes armés de kalash qui vont arroser des terrasses de Bruxelles » . 

La salle soupire.

Il ne s’arrête pas : « C’est cela la question madame la présidente : quand deux policiers font face à quelqu’un qui prend tous les risques, faut-il se mettre sur le côté, ou faire le mieux possible en respectant la proportionnalité ? ». Il appuie encore une fois sur le fait que si le jugement de madame la juge Lannoy reconnaît une responsabilité des policiers, celui-ci constituerait un laisser-passer pour celles et ceux qui tentent d’échapper à la police.

Il en revient au chronométrage, « […] est-ce que coûte que coûte, jusqu’au bout, pendant des heures, ils ont poursuivi cette moto ? La réponse est négative. Deux minutes et 22 secondes. Au début, tout se passe calmement, ça vient crescendo. Est-ce que ce n’est pas proportionnel ? […] Ils n’ont pas de prime à l’arrestation. Ils n’ont pas de prime aux procès verbaux. C’est des bons flics. Le dossier le démontre. »

Il exprime ensuite une requête à madame la Juge : « Je vous demande dans votre jugement de ne pas donner la responsabilité à personne morale (c’est-à-dire par exemple la police en tant qu’institution) qui n’en n’est pas la cause : ces deux-ci [inspecteurs Dale et Kane] ne représentent pas la police, ni la zone de police, ni l’état belge ».

Maitre Delcoigne lit ensuite un commentaire paru sous un article du journal Le Soir : « Pour info, hier soir cette moto roulait à fond, j’ai dû m’écarter car une voiture de police la poursuivait. La fin tragique était prévisible, ça reste malheureux. Mais s’il n’y avait pas eu cette course poursuite, une mère de famille aurait été tuée par cette moto. »

Il poursuit son argumentaire en répondant au raisonnement de la partie civile qui était « la course poursuite a induit la vitesse qui a induit l’accident ». Lui dit que l’ordre des chose serait plutôt « la vitesse de la moto a induit la course poursuite, qui a induit l’accident ». Il finit par demander la suspension du prononcer3 – mais ce n’est pas pour autant qu’il reconnaît une quelconque responsabilité de la part des policiers, précise-t-il – en mettant en avant l’ancienneté des faits, le comportement adéquat des policiers, et « car pour eux, c’est plus que juste un procès ».

Maître Haulotte avocat du 1er inspecteur Dewael, prend alors la parole : « Indépendamment des faits et de la souffrance dramatique, je souhaiterais dans ce dossier que l’on reste factuel. Que l’on ne s’écarte pas des éléments du dossier pour verser dans l’affect. » En commençant avec ces mots, il suggère que la partie civile argumente avec un caractère affectif, et que lui s’apprête à nous livrer les faits de manière objective. Après 6 ans et demi de procédure, il affirme que monsieur Dewael et ses collègues n’ont jamais pu réellement s’expliquer sur les circonstances.

Il va développer les analyses de l’expert en accidentologie qui a reconstitué l’impact menant à la mort de Ouassim et Sabrina. Il essaye de prouver que la visibilité était optimale ce jour-là et que Ouassim aurait dû voir la voiture, et donc pouvoir ralentir afin d’éviter la collision et l’accident. La reconstitution suppose de ce fait que la voiture de la brigade canine était déjà en place plusieurs dizaine de seconde avant l’impact. Maître Haulotte reprend les études qui déterminent la vitesse potentielle qu’avait la moto. Les analyses de l’expert, dont il martèle le sérieux et l’objectivité de nombreuses fois, estiment la vitesse de la moto entre 90 et 100km/h. Parce que son client aurait eu un trou de mémoire, il ne saurait pas indiquer si, au moment de la percussion, sa voiture était à l’arrêt ou si elle était en mouvement, élément pourtant déterminant.

L’enquête a tenté d’exploiter les images de vidéo surveillance et de radars. Nombre de ces appareils de sont montrés défectueux, mais une image de caméra indique que la voiture de police avait bien ses feux bleus allumés. Un des radar a flashé la voiture poursuivante à 141 km/h, la moto n’a par contre pas été détectée.

Il continue en parlant des témoins : « toute une série de témoins ont été entendus, ils sont à prendre avec la plus grande circonscription. […] On a évoqué une éventuelle marche arrière [de la voiture de Dewael], elle n’est corroborée par absolument aucun élément objectif (en insistant sur le mot objectif) du dossier et est au demeurant contestée. »

« Voilà en ce qui concerne les éléments objectifs du dossier. Sur cette base nous pouvons répondre à la question de la responsabilité de monsieur Dewael ». Il serait intervenu dans le seul but de sécuriser ses collègues, de leur prêter main forte : « c’est son devoir ». Il n’y aurait eu en aucun cas un barrage, car c’était possible de passer à gauche et à droite. « S’il y a un responsable dans ce tragique accident, ce n’est pas monsieur Dewael, ce n’est pas ses collègues. Dans une opération post-attentat, le seul responsable c’est le motard.» Il revient sur la proportionnalité de la course poursuite et sa légitimité : « […] Pour la nécessité de la mission, les policiers étaient légitimes de ne pas respecter les règles du code de la route » ils étaient en « mission urgente code 3, selon l’article 37 de la loi de police ».

Il rappelle que les policiers étaient dans climat post-attentat, et demande à madame la juge Lannoy de, même si elle décide de lui estimer une responsabilité, suspendre le prononcer. Sa demande se justifierait par l’ancienneté des faits et les traumatismes physiques et psychologiques de monsieur Dewael.

Tour de réplique

La parole est donnée à la partie civile :

Maître Callewaert prend la parole en première : « Il faut répéter que la mise en situation n’est pas claire ». La reconstitution de l’accident a été effectuée uniquement avec des voitures et non pas avec une moto. Elle revient sur la temporalité de l’arrivée de la voiture de monsieur Dewael, qui est capitale pour comprendre comment l’accident s’est réellement déroulé. « Il faut tout de même poser la question de quand est-ce que monsieur Dewael est arrivé [sur le lieu de l’impact]. La reconstitution est faite comme si la voiture était déjà là. » 

Elle relate le témoignage d’une personne qui était dans le tunnel avec Ouassim et Sabrina. Après en avoir passé la moitié, la témoin s’est faite dépasser par la moto par la gauche, et ce serait à ce moment là qu’elle a remarqué la voiture de l’inspecteur Dewael à la sortie. Elle dit aussi ne pas avoir vu les phares de freinage de la moto. Elle en déduit que si Ouassim avait vu la voiture, il aurait freiné. Or il ne l’a pas fait.

Elle continue et réagit aux commentaires de la défense, elle dit que ce n’est pas parce que Ouassim était signalé rouge à la BNG, ou parce qu’ils étaient peut-être des terroristes, que la course poursuite a commencé. C’était par rapport aux chaussures de Sabrina, ainsi que la « vive allure » du véhicule. « Sabrina ce n’est pas juste « un dommage collatéral », ils ont continué la course-poursuite en risquant sa vie, et elle en est morte. […] Les policiers continuent de dire que c’est tout à fait juste ce qu’ils ont fait. On a deux policiers qui continuent une course poursuite alors que c’est hyper dangereux et un autre qui vient bloquer la route. Il n’a pas été se mettre 100m plus loin de la sortie du tunnel, il a été là. Et il a pas bougé. C’est donc un blocage. »

Maître Lambert, avocat de la partie civile, prend à son tour la parole : « La jurisprudence est constante pour dire que la faute de la victime ne fait pas disparaître la responsabilité des auteurs. On vous dit [à la juge] aujourd’hui que votre décision pourrait donner un blanc-seing [passe-droit] à ceux qui fuient les courses poursuites, alors qu’en réalité, vous donneriez un blanc-seing à tous les policiers qui voudraient tout le temps faire des courses poursuites. » Elle revient également sur le cadre dans lequel on doit effectuer les courses poursuites : « Avant chaque course poursuite on doit prendre une série d’éléments en compte pour savoir si on la commence ou pas […] et pendant aussi. ».  Et en réponse à l’argument des « 2 minutes et 22 secondes » elle dit que, prendre des décisions adéquates en quelques secondes, c’est justement ça le rôle des policiers. Et que Ouassim a lui aussi dû prendre des décisions en quelques secondes. Elle argumente également au sujet du code 3 en disant que « c’est le policier qui active le code 3 et donc qui se donne tous les droits ».

 Les autres avocats de la partie civile n’ont pas de réplique à donner.

La parole est donnée aux avocats de la défense : 

Maître …, avocat de Ethias assurance, parle de l’absence de freinage de Ouassim car il aurait perdu le contrôle de sa moto.

Maître Haulotte, avocat de l’inspecteur Dewael, parle de la position de la voiture. Il n’y a pas eu de sûr-accident, donc elle était parfaitement visible. S’il avait été se mettre 100 mètres plus loin, c’est justement là qu’on n’aurait pas pu la voir.

Maître Delcoigne, avocat des inspecteurs Dale et Kane, nous informe que ses clients n’ont été sanctionnés par personne, ni par leurs supérieurs, ni par le comité P, ce qui montre bien qu’ils n’ont pas commis de faute grave.

La parole est donnée aux prévenus :

Monsieur Dale, conducteur de la voiture poursuivante : « Je rappelle mes condoléances à la famille. Je ne suis pas un assassin, pas un tueur, je sais ce que c’est de perdre un frère »

Monsieur Kane, passager de la voiture poursuivante : « Je présente sincèrement mes condoléances. Notre objectif était d’essayer de faire notre boulot le mieux possible. Chaque jour, je repense à cette mort, chaque jour je repense à la famille. »

Dans la salle, un·e proche des familles murmure « Nous, on vit plus… »

Monsieur Dewael, conducteur de la voiture de la brigade canine, : « Je veux juste signaler qu’en plus de 20 ans, je n’ai jamais reçu de recommandations du comité P. Je n’aurais jamais cru que ça se serait passé. Je n’ai vraiment pas souhaité que cet accident soit arrivé, ce n’était pas le but de cette opération. » Il ne prononce pas d’excuse.

Madame la juge lève l’audience en annonçant que le jugement sera prononcé le 5 décembre à 9h, dans la même salle.

Légende : 

    [1] Le titre de 1er inspecteur ne donne pas plus de privilège que de celui d’inspecteur, ça signifie simplement que le policier a plus de 12 ans de carrière. 

    [2] BNG : Banque Nationale Générale, base de donnée de faits potentiellement répréhensibles concernant les habitant de la Belgique, données conservées durant 30 ans. 

    [3] Suspension du prononcé : quand une personne est jugée coupable, mais que la peine n’est pas prononcée.

Osvp & Bruxelles Dévie

Pour plus d’information concernant la course poursuite, voir la contre enquête réalisée par le collectif Retrace https://piped.kavin.rocks/watch?v=zVoir en ligne : Sabrina et Ouassim – Contre Enquête sur la course-poursuite policière mortelle

https://www.infolibertaire.net/compte-rendu-du-proces-des-assassins-de-sabrina-et-ouassim/