Mouvement Palestine à Bruxelles : entre ingérance israéliennes, perquisitions anti-terroriste et agressions physiques

   

Le 21 janvier, lors d’une grande manifestation nationale à Bruxelles pour la Palestine, une agression a été commise par le service de sécurité de la coalition organisatrice de la manifestation contre le bloc du Comité Populaire pour la Palestine (PCP) et de Samidoun. Ces deux organisations (PCP et Samidoun) soutiennent le peuple palestinien et militent pour la décolonisation entière de la Palestine, c’est-à-dire le démantèlement d’Israël au profit d’une Palestine multiconfessionnelle et démocratique. L’agression du 21 janvier fait suite à une série d’autres attaques lors des manifestations à Bruxelles depuis le 7 octobre et semble s’inscrire dans une dynamique de répression plus large au niveau national et européen, et plus particulièrement envers les voix qui soutiennent la résistance, en ce compris la résistance armée en Palestine.
En Belgique, la répression étatique, utilisant parfois des moyens anti-terroristes contre le mouvement social en solidarité avec la Palestine, a été largement impulsée sous pression et requête directe de l’Etat israélien, en plein génocide.

Ainsi, depuis le 7 octobre, la rédaction de Bruxelles Dévie a mené une enquête d’investigation sur le mouvement de solidarité avec la Palestine à Bruxelles. En près de 7 mois d’enquête, nous avons répertorié et récolté de nombreuses informations au sujet de perquisitions, d’interdictions d’évènements et de manifestations en lien avec la Palestine, d’agressions physiques au sein des manifestations, ainsi que de diverses pressions politiques du niveau communal et au plus haut niveau de l’Etat, le gouvernement.

Enquête.

Présentons d’abord les différentes organisations concernées. Premièrement Samidoun, qui est une organisation internationale de gauche de la diaspora palestinienne dont le but est de soutenir les prisonnier·ères politiques palestinien·nes, en visibilisant leurs luttes et en soulignant l’importance de leur rôle dans la libération. Samidoun est implantée dans différents pays en Occident (Europe et Amérique du nord) et en Palestine. L’organisation milite également pour une Palestine libre, démocratique et égalitaire où tous et toutes pourront vivre peu importe leur religion, origine, … cela de la mer au fleuve. En outre, Samidoun effectue ce travail politique tout en tissant des liens avec les luttes sociales en Occident.

Par ailleurs, le PCP (Popular Committee for Palestine) est un nouveau comité qui s’est constitué à Bruxelles à la suite du 7 octobre. Il réunit des militant·es internationalistes, des organisations politiques ainsi que des personnes de la diaspora palestinienne. L’objectif du comité est de soutenir le droit à la résistance palestinienne, les luttes locales belges et internationales, cela dans une perspective anti-impérialiste. Le PCP partage avec Samidoun la revendication de la libération de la Palestine sur son territoire historique de la mer au Jourdain.

Depuis le 7 octobre, les manifestations nationales à Bruxelles sont organisées par une large coalition réunissant des associations, des syndicats ainsi que des partis politiques (l’ABP, Intal, la FGTB, la CSC, le MOC, Amnesty, …). Parmi-elles, l’ABP apparaît comme une des leadeuses informelles de cette coalition.

L’Association Belgo-Palestinienne (ABP) est une association créée en 1975 en Belgique. Elle a pour objectif de défendre et promouvoir les droits des palestinien·nes et son « Etat » autour du droit international. L’ABP affirme le droit à l’autodétermination du peuple palestinien dans ces statuts et note que « dans l’hypothèse de deux Etats, la reconnaissance de l’Etat d’Israël est, d’un point de vue politique, juridique et éthique, liée à celle d’un Etat palestinien indépendant, dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale. » Bien que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien soit mentionné, l’hypothèse de « deux états » reste la seule solution développée par l’ABP dans ses statuts.

Tous les événements relatés ci-dessous se sont déroulés lors des manifestations organisées par cette même coalition.

Les faits :

Les agressions verbales et physiques ont débuté dès le tout premier rassemblement, qui a eu lieu le 11 octobre devant le ministère des affaires étrangères. Elles semblaient toujours avoir pour but d’invisibiliser l’organisation Samidoun en prétextant une interdiction de drapeaux autres que celui palestinien. Toutefois, d’autres drapeaux d’organisations, ou national, n’étaient manifestement pas sous le coup des mêmes mesures ni de mêmes violences. À la suite des événements du 11 octobre, la FGTB, les jeunes socialistes et Ecolo J expliquaient dans la presse qu’ils se dissociaient de l’organisation de la manifestation. Dans les articles relayant leur dissociation, ces deniers utilisaient le phrasé de l’extrême droite israélienne en qualifiant Samidoun de « pro-Hamas » et/ou de soutien au terrorisme. 

Image de la manifestation du 11 octobre, en face des Affaires Etrangères belges.

Le 22 octobre lors de la manifestation massive à Bruxelles en solidarité avec la Palestine, les militant·es portant les drapeaux pour Georges Abdallah et de Samidoun ont été une nouvelle fois agressé·es. Plusieurs drapeaux ont été déchirés et des coups ont été donnés par le service de sécurité de la coalition.

Images de l’agression lors de la manifestation du 22 octobre.
Image de la manifestation du 22 octobre.

Interrogée par notre rédaction au sujet de ces agressions à la suite du 22 octobre, l’ABP nous répondait qu’elle se contentait de déclarer qu’elle « condamnait tout acte d’agression, et qu’aucune consigne n’a été donnée aux stewards d’exercer une quelconque violence physique, que ce soit contre quiconque ». L’ABP n’a pas voulu commenter davantage nos interrogations au sujet de ces agressions et avait rappelé ses positions politiques en mentionnant son communiqué au sujet du 7 octobre, que vous pouvez retrouver ici.

Image de la manifestation du 21 janvier.

Par la suite, lors de la manifestation nationale du 21 janvier, plusieurs stewards (personnes désignées par la coalition pour assurer la sécurité de la manifestation) vêtus de vestes fluorescentes, onttenté de voler les drapeaux représentant Georges Ibrahim Abdallah, un combattant pour la libération palestinienne membre du FPLP et emprisonné en France depuis 40 ans, ainsi que ceux de l’organisation Samidoun. Dans cette tentative, ils ont fait usage de violence physique à l’encontre des militant·es de Samidoun et du PCP.

Images de l’agression à l’encontre de Samidoun et du PCP le 21 janvier.

Egalement interrogée au sujet des agressions, l’organisation Samidoun explique avoir fait l’objet de violences : « Nous avons été violenté·es à plusieurs reprises. Les violences physiques consistaient en des bousculades, des arrachages de drapeaux, des coups portés ; certain·es d’entre nous ont été mis·es au sol, d’autres menacé·es de coups. » Samidoun Brussels explique avoir contacté et rencontré l’ABP au sujet de ces agressions, en présence de leur avocate : « A la deuxième agression, nous avons informé de façon officieuse l’ABP ; après la troisième agression, nous avons reçu une invitation de l’ABP à une rencontre, au cours de laquelle nous avons longuement discuté des faits. Le président de l’ABP, Pierre Galand, a présenté des excuses formelles au nom de l’ABP et s’est engagé d’une part à transmettre à la coalition le nom des agresseurs (au moins de ceux que nous avons pu identifier) ainsi que de produire une convention bipartite. Nous étions en présence de notre conseil juridique, qui a proposé de prendre en main la rédaction de cette convention avec une membre de l’ABP. Malheureusement, il n’a pas fallu longtemps pour déchanter, car deux jours après cette rencontre, le community manager de l’ABP postait une réponse sur un tweet de Marcel Sel, un blogger connu pour ses positions très à droite de l’échiquier politique, en disant qu’il retirait le relais d’un événement par l’ABP en raison de notre participation. Peu après, lors de la manifestation contre les violences faites aux femmes le 26 novembre, nous avons eu la désagréable surprise de reconnaître nos agresseurs parmi les stewards du bloc Palestine (un comble alors que nous avions mentionné que des femmes avaient essuyé des coups de la part de ces stewards). Nous avons tenté à plusieurs reprises de régler le problème par dialogue, pour éviter de donner de l’eau au moulin du camp des sionistes qui seraient ravi·es de voir les luttes intestines au sein du mouvement de soutien à la Palestine ; Cependant, l’escalade de violence nous a contraints à publier un communiqué officiel afin de nous défendre. »

Lorsque nous avons interrogé Samidoun afin de savoir si la police était à un moment intervenue dans ces agressions répétées, le collectif nous a répondu que « lors de la manifestation de Schuman, la police est intervenue pour exfiltrer nos agresseurs (les stewards qui nous frappaient et nous volaient nos drapeaux); nous avons pu récupérer certains des drapeaux; c’est un comble de voir la police intervenir pour exfiltrer les stewards censés maintenir la sécurité et le bon déroulement de la manifestation. À aucun moment, la police n’est intervenue pour nous empêcher de porter nos drapeaux tout simplement parce que nous étions dans notre plein droit. »

Le 21 janvier, un·e journaliste de la rédaction de Bruxelles Dévie a constaté l’agression et a également identifié un policier en civil aux côtés des stewards. Notre journaliste notait cependant que ce dernier était resté passif, n’étant ni intervenu pour arrêter l’agression, ni pour aider directement les agresseurs.

Image du bloc du PCP et de Samidoun lors de la manifestation nationale du 21 janvier.

Dans son communiqué publié le 30 janvier, l’organisation Samidoun Brussels explique sa lecture des événements : « Depuis la manifestation du 11 octobre devant le Ministère des Affaires Etrangères, nous sommes systématiquement victimes d’agressions physiques et verbales et de tentatives de nous empêcher d’exprimer notre appartenance au Réseau Samidoun ou notre soutien à Georges Abdallah. Le prétexte de l’interdiction était que « la communauté palestinienne » (bien que l’organisation appelée « Communauté Palestinienne » n’était pas co-organisatrice de la manifestation et qu’il n’y ait aucune base pour déclarer des individus comme étant les représentants la diaspora palestinienne en Belgique) avait exprimé le souhait que seul le drapeau palestinien soit hissé. » 


Effectivement, dans les appels des manifestations fait par la coalition, cette dernière concluait systématiquement par : « À la demande de nos partenaires palestiniens, seul le drapeau palestinien national sera autorisé. »

Dans son communiqué, Samidoun poursuit : « Bien que cela ait été utilisé comme excuse, cela est clairement faux. Lors de cette manifestation et depuis la manifestation du 11 octobre, des organisations comme Intal, Viva Salud, PTB, FGTB, LDH, Amnesty International et d’autres apportent régulièrement des drapeaux et des banderoles avec leurs logos et leurs noms, et elles ne sont pas attaquées et leurs drapeaux ne sont pas enlevés. »

Nos journalistes présent·es lors de ces manifestations confirment la présence d’autres nombreux drapeaux non-palestiniens représentants d’autres organisations, associations et groupes politiques. Nos journalistes confirment également que les organisations et groupes les portant n’ont pas subi le même traitement de la part des stewards que celui infligé à Samidoun et au PCP depuis le 7 octobre. De plus, le 21 janvier, en plus de l’agression contre le bloc du PCP et de Samidoun, une personne portant un drapeau « Juifs Juives et Révolutionnaire » (JJR, collectif français), a également été attaquée par des stewards afin de s’emparer du drapeau. La personne a pu se réfugier au sein du bloc du PCP et de Samidoun.

Sous couvert d’un traitement impartial des drapeaux et symboles des organisations participatrices, ces agressions révèlent la stratégie politique d’éviction à l’oeuvre quant à certaines organisations. En effet, les organisations, blocs et personnes visées sont celles qui semblent avoir un discours politique qui dérange l’organisation de la manifestation et qui diffère avec les mots d’ordre de la large coalition. 

Lors de la dernière marche nationale, le 17 mars, aucun incident n’était à constater.

Par ailleurs, le 5 avril, lors d’une manifestation en face de l’ambassade israélienne, cette fois organisée par d’autres groupes que la coalition qui organise les manifestations nationales, la police d’Uccle a tenté de saisir les drapeaux de Samidoun, sous ordres du bourgmestre. Face au rapport de force avec les manifestant·es, les forces de l’ordre avaient finalement laissé les drapeaux aux manifestant·es.

Images lors de la manifestation en face de l’ambassade israélienne, le 5 avril.

Répression d’Etat :

Ces agressions politiques s’inscrivent également dans un contexte de répression du mouvement palestinien en Belgique, et plus largement au niveau européen. Une répression qui s’exerce envers des voix et des organisations soutenant le droit à la résistance palestinienne, droit pourtant consacré par l’ONU. L’objectif de cette répression d’Etat est de criminaliser le soutien à la résistance palestinienne pour soutenir le narratif Israélien et justifier son entreprise génocidaire. Depuis le 7 octobre, en Belgique et en particulier à Bruxelles, nous observons la mise en place d’une répression étatique, le plus souvent sous les pressions de personnalités politiques de l’Etat israélien.

Il est à noter également que des demandes de rassemblement en dehors de ceux de la coalition ont été refusées par différentes communes. Le 18 octobre, une manifestation organisée notamment par Samidoun a été refusée à Saint-Gilles, par exemple.

Vers la fin du mois de novembre, le ministre israélien Amichai Chikli (membre du parti politique d’extrême droite « Likoud », dont Benjamin Netanyahou est le président) a adressé deux lettres à la ministre de l’Intérieur belge, Annelies Verlinden (CD&V), au sujet de l’organisation Samidoun à Bruxelles. Il y demandait l’interdiction totale de cette organisation sur le territoire belge ainsi qu’une augmentation de la surveillance à l’égard du coordinateur européen de Samidoun, Mohammed Khatib, qui est régulièrement attaqué et diffamé dans la presse. Le 15 avril, la secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor (CD&V), sous requête directe de l’Etat israélien, annonçait avoir lancé une procédure de révocation la reconnaissance du statut de politique réfugié de Mohammed Khatib, coordinateur européen de Samidoun. Cette demande va être observée par le CGRA une instance fédérale indépendante qui délivre les droits d’asile et de refuge. Notons toutefois que depuis août 2023, l’Office des Etrangers, dirigée par Nicole de Moor, envoie illégalement des demandes de retrait de la nationalité des enfants belges nés de parents palestiniens.

Nicole de Moore, secrétaire à l’Asile et à la Migration, interviewée par la VRT au sujet de Samidoun.

La demande de la Nicole de Moor a été vivement critiquée, notamment par l’Union Progressiste des Juifs de Belgique (UPJB) et par la Plateforme Charleroi pour la Palestine, qui apporte son soutien à Mohammed Khatib : « Il est inacceptable que le statut de réfugié de Mohammed Khatib, né à Aïn al-Helweh, le plus grand camp de réfugié·es palestinien·nes au Liban, lui soit retiré. En Belgique, les réfugié·es palestinien·nes ont le droit de revendiquer le retour dans leur pays, la Palestine. Ils ont le droit de réclamer la libération de la Palestine, de la mer au fleuve. Ils ont le droit de soutenir la résistance palestinienne et d’exiger l’arrêt du génocide perpétré contre le peuple palestinien. Retirer le statut de réfugié politique à Mohammed Khatib est un précédent extrêmement dangereux pour tous les réfugiés en Belgique. C’est également un signe alarmant pour toute personne ou organisation dans notre pays qui manifeste son soutien à la résistance palestinienne, dont les organisations ont été mises sur la liste européenne des organisations terroristes. Le peuple palestinien a le droit légitime de résister à l’occupation et à la colonisation. »

Mohammed Khatib, coordinateur de Samidoun au sujet du 7 octobre.

L’organisation Samidoun est donc sous le feu d’une répression impulsée par l’extrême droite israélienne, par le biais de diffamations racistes et islamophobes. Diffamations largement reprises par les acteurs politiques en Belgique (de la FGTB à l’extrême droite belge). La N-VA et le Vlaams Belang s’en sont logiquement fait le fer de lance au parlement. A la mi-octobre, la N-VA a interpelé le gouvernement car elle voulait faire « dissoudre » l’organisation Samidoun. Le cabinet du ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt (Open-VLD), avait alors expliqué qu’une dissolution d’organisation n’était pas possible dans la constitution belge,  mais qu’il était possible de la condamner, et par exemple d’interdire ses rassemblements. 

Paul Van Tigcheltk, à la Chambre.

Le fait que cette répression étatique se produise sous l’impulsion de politiques israélien·nes constitue clairement une ingérence israélienne dans la politique belge. Depuis le 7 octobre, une manifestation de Samidoun a été annulée (le 18 octobre), une conférence menacée d’interdiction sur demande directe de l’ambassade d’Israël (le 21 octobre), les organisateur·rices d’événements co-organisés avec Samidoun subissent des pressions politiques pour retirer Samidoun de l’organisation d’événements et des manifestations (le 8 février et le 21 février). Cette liste n’est certainement pas exhaustive et ne reprend que les informations parvenues à notre connaissance.

Toutes ces pressions politiques poursuivent un seul objectif : empêcher que le mouvement de solidarité avec la Palestine puisse se politiser et soutenir pleinement le peuple palestinien, pour le limiter à des expressions humanitaristes et dépolitisantes. Il apparaît clairement qu’aucune base légale ne puisse justifier ces pressions. En ce sens, cela nous indique qu’elles suivent purement un agenda politique. Elles violent donc la liberté d’expression, pourtant garantie par la constitution belge. Ces pressions politiques ne sont pas assumées publiquement : elles ne sont pas formelles, et s’expriment essentiellement au travers d’appel de cabinet de bourgmestre aux organisateur·rices d’événements, en évoquant systématiquement que la tenue de l’événement ou de la manifestation peut se faire à condition que Samidoun n’y participe pas, ou qu’il soit tout du moins tenu à l’écart. En multipliant ces pressions par appels téléphoniques, les autorités laissent moins de traces que lors d’échange par mail ou de rencontres formelles en présence d’avocat·es. Ceci complique les contestations de ces pressions malgré le fait qu’elles soient illégales et infondées.

Perquisitions au média ZIN TV

Le 21 octobre, alors que Samidoun organisait une conférence à Jette en collaboration avec ZIN TV sur la répression en Europe du mouvement palestinien, l’ambassade d’Israël aurait appelé la bourgmestre de Jette pour tenter de faire interdire l’événement. En réaction, la Bourgmestre a menacé d’interdire la rencontre et de lancer une enquête. L’OCAM  (Organe d’analyse de la menace terroriste en Belgique) ayant rendu un avis en faveur de Samidoun, la conférence a finalement été permise car rien ne permettait factuellement et légalement de l’empêcher. Cependant, malgré cet avis de l’OCAM, la Bourgmestre a exigé que l’un des intervenants qui devait parler en visio-conférence, Khaled Bakarat, n’intervienne pas et que des policier·ères en civils surveillent la conférence. Aucune base légale, à nouveau, ne permettait d’interdire la participation de Khaled Bakarat à cet événement.

Dans un communiqué publié le 5 avril que nous vous invitons à lire, ZIN TV explique les événements : »À peine Samidoun a‑t-il publié une annonce faisant la promotion de cet événement, que nous recevions un appel de la commune de Jette disant avoir été informée par l’ambassade israélienne qu’un événement “problématique” avait été programmé au CBO [lieu qui accueille les locaux de ZIN TV). Nous apprenions qu’une enquête de police et de l’OCAM avait été diligentée pour déterminer si cette conférence représentait un danger quelconque. Nous comprenions aussi par des sous-entendus à peine voilés que nous aurions intérêt à annuler cet événement. Étant financés par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour faire usage de la liberté d’expression dans une perspective d’émancipation individuelle et collective, nous avons évidemment décidé de rester imperméables aux pressions politiques.

La veille de l’événement, nous apprenions que l’enquête de l’OCAM concluait qu’on ne pouvait pas interdire la conférence. Nous apprenions également que des agents de police en civil assisteraient à la rencontre pour relever d’éventuels propos tombant sous le coup de la loi. La soirée fut un franc succès et aucun désordre ne se produisit. Pourtant, quelques jours plus tard, nous étions convoqués par la commune de Jette pour nous voir reprocher d’avoir maintenu l’événement. Nous comprenions que le soutien communal accordé au CBO risquait d’être remis en question et que cet événement aurait fait des remous bien au-delà de la commune de Jette, sous-entendant que ZIN TV risquait peut-être de perdre ses subsides. »

Les autorités politiques belges semblent avoir fait appel au Plan R (Plan d’Action Radicalisme) qui est un organe de répression et d’information pluridisciplinaire, avec un haut niveau de collaboration entre les différents services de l’Etat, dédié initialement au terrorisme et aux processus de radicalisation, par exemple Daech. Il est interpellant que ce genre d’outil anti-terroriste, dont les pratiques très intrusives nécessitent un encadrement sérieux, puisse être utilisé par l’Etat contre des acteur·rices et groupes composants des mouvements sociaux dans le but de tenter de les censurer et non pas pour prévenir un quelconque acte terroriste. Dans un processus de fascisation global de notre société, la multiplication du recours au motif anti-terroriste, comme mesure d’exception pour outrepasser le cadre légal belge, pour enquêter sur des acteur·rices qui n’ont rien de « terroriste », est un marqueur inquiétant.

Ce 2 mars, à la suite de la conférence, les locaux de nos confrères et consoeurs du média d’action collective ZIN TV ont été perquisitionnés et contrôlés de manière « déguisée » par les brigades du projet Belfi, via la coordination de plusieurs services de police. Le projet BELFI rentre dans le cadre du Plan Radicalisation. Il est actif dans la capitale et plusieurs communes voisines. BELFI est un outil de la lutte anti-terroriste pour l’Etat. Il a été initialement, mis en place par la Police Judiciare à la suite des attentats antisémites au Musée Juif en 2014. BELFI, l’acronyme de « Belgian Fighters », associe les polices judiciaires et locales ainsi que différents services d’inspections (fiscale, sociale ou environnementale) dans l’objectif annoncé de lutter contre le financement du terrorisme.

Toujours dans son communiqué, ZIN TV explique le déroulement de l’opération : « […] Le samedi 2 mars, 15 personnes, des agents de police en uniforme et en civil, des agents du SPF justice et du SPF économie ainsi qu’un inspecteur ONSS arrivent au CBO en début d’après-midi. Ils prétextent une inspection sociale. Nous ne pouvons donc pas refuser l’accès. Nous devons également leur fournir une série de documents ainsi que les numéros de téléphone de tous les membres du CBO. Un inspecteur explique qu’ils sont là à cause de l’événement de Samidoun accueilli en octobre. Il s’agissait là d’une perquisition déguisée. […] Cette opération très intrusive et délibérément floue ne laissera personne indemne.

Nous sommes inquièt·e·s de cette utilisation disproportionnée de mesures d’exception établies pour faire face aux attentats terroristes sur le sol belge. Est-ce qu’il est acceptable qu’une activité portant sur la résistance palestinienne autorise une cellule comme BELFI à s’introduire impunément dans un lieu culturel, et interrompre un stage de vacances ou une activité de cuisine collective sous prétexte d’un contrôle social ? Comment de tels moyens peuvent être mis en œuvre sans en connaître les commanditaires ? Nous analysons cette « enquête » comme une tentative d’intimidation et la suite logique des différentes pressions subies depuis le mois d’octobre. Tout cela favorise un climat fascisant qui mène à l’autocensure. La pluralité des opinions politiques et médiatiques devrait être protégée par nos institutions. »

Perquisition d’associations qui soutiennent la Palestine.

Image de la banderole sur le piétonnier.

Le 8 janvier, une opération policière a été menée dans le centre de Bruxelles pour retirer une banderole en soutien à la Palestine accrochée à un bâtiment privé. Plusieurs véhicules de police ont été mobilisés ainsi qu’un important dispositif de pompiers. Quelques jours après le retrait de cette banderole, le 21 janvier, une opération similaire à celle menée à l’encontre de ZIN TV, en façade « un contrôle du travail », encadré par plusieurs unités de police, a eu lieu au sein de ce bâtiment où une association qui gère une plateforme de crowdfunding. Plusieurs éléments laissent à penser que derrière ce « contrôle du travail » se cache en réalité une opération des services de Belfi.

Images du retrait d’une banderole en soutien à la Palestine dans le piétonnier.

Il est à noter qu’en 2017, une perquisition similaire avait été menée par les services de Belfi contre une ASBL qui vient en aide aux personnes d’origines étrangères, dans le brabant wallon. Cette perquisition avait alors été dénoncée comme abusive et politique. Ses objectifs et ses moyens s’apparentaient plus à de l’intimidation, comme relevé dans le communiqué de ZIN TV, plutôt que de réelles suspicions de financements terroristes.

Nous pouvons donc également interroger le réel usage de ces perquisitions anti-terroristes à l’encontre d’un média reconnu qui n’a fait qu’accueillir une conférence sur la résistance palestinienne et une ASBL crowdfunding qui avait installé une banderole à ses fenêtres.

Le 6 mars, un autre lieu associatif, l’Adhésif, engagé dans les luttes sociales et notamment celle en soutien à la Palestine, a subi une « perquisition déguisée » au travers d’un contrôle du travail, en tout points similaire à celles décrites ci-dessus. Afin de mener cette opération, les forces de l’ordre ont bloqué toute la rue et ont mobilisé d’importants effectifs policiers.

Pression sur les organisateur·rices d’une manifestation.

A un niveau communal, le jeudi 8 février 2024, l’administration de la Ville de Bruxelles (PS – Close), a par exemple contacté les organisateur·rices d’une marche nocturne pour la Palestine. L’objectif de l’administration était d’exercer des pressions afin que l’organisation Samidoun ainsi que le PCP, annoncés co-organisateurs de l’événement, soient retirés de l’organisation. Cette fois encore, rien ne motivait légalement cette pression, qui s’apparente à une tentative de censure.

​Répression politique : la pression israélienne et la collaboration belge.​​​​​​

Nous observons donc une forme de collaboration entre les autorités belges et des personnalités politiques israélien·nes dans la répression des voix en faveur de la libération de la Palestine. Nous observons également un usage qui semble abusif de moyens anti-terroristes. La Belgique, comme d’autres Etats occidentaux, se fait l’agente de l’exportation de la politique coloniale dans son propre pays en réprimant le mouvement en soutien à la résistance palestinienne. Une situation que l’organisation Samidoun commentait dans son communiqué du 30 janvier : « Outre notre rejet de la violence physique à l’encontre de personnes venues manifester leur soutien à la Palestine, il convient de souligner que cette attaque a eu lieu simultanément à une campagne de propagande très publique du régime sioniste : le régime colonial israélien a décidé de classer le réseau Samidoun comme organisation terroriste et fait pression sur les pays occidentaux pour qu’ils fassent de même […]. L’extrême droite et ses partisans se sont joints à cette initiative, et l’ambassadeur d’Israël en Belgique a tweeté pour attaquer le bloc du PCP et Samidoun au moment même où le personnel de sécurité des organisateurs nous agressait physiquement dans la manifestation. En Allemagne, le gouvernement a décrété une interdiction politique à l’encontre de Samidoun (sans procédure judiciaire, il s’agit d’une interdiction politique et non-juridique). »

Une dynamique de répression similaire en Europe :

En France, des révélations du média StreetPress indiquaient que le gouvernement français envisageait la dissolution de Samidoun Paris-Banlieue et de deux autres organisations en soutien à la Palestine. En 2022, le gouvernement français initiait également une procédure de dissolution contre le collectif Palestine Vaincra. Par ailleurs, le 20 octobre, deux militants syndicalistes ont été perquisitionnés et arrêtés par des services anti-terroristes français pour avoir distribué des tracts en soutien au peuple palestinien. Motif invoqué ? Apologie du terrorisme. Toujours en France, le 8 février 2024, un militant était jugé pour « apologie du terrorisme » suite à un discours tenu lors d’une manifestation de soutien à la Palestine, au cours duquel il disait que le soutien à la résistance était légitime. 

En Allemagne, le slogan « Palestine libre de la mer au fleuve », qui désigne la décolonisation de l’entièreté de la Palestine historique, a été interdit pour son prétendu caractère antisémite. Des perquisitions utilisant également des moyens anti-terroristes et disproportionnés ont visé des militant·es de Samidoun Deutschland, car iels affirmaient leur soutien à la résistance. Finalement, le gouvernement allemand a même dissous Samidoun Deutschland à la mi-octobre.

La ministre allemande de l’intérieur, Nancy Faeser, montrant l’acte d’interdiction de Samidoun.

Dans le cadre de cette répression européenne qui vise à marginaliser et à isoler les voix soutenant le droit à la résistance, il est inquiétant de voir de nombreuses organisations de gauche, ou de solidarité avec la Palestine, ne pas se positionner en soutien aux voix palestiniennes bafouées à Bruxelles. Voire même de se désolidariser des organisations palestiniennes qui subissent pleinement la répression, à l’instar de la FGTB, d’Ecolo J, et d’autres encore, et de tenter de marginaliser Samidoun, en reprenant en partie le narratif Israélien (en associant Samidoun à des « terroriste » ou en disant qu’ils feraient « l’apologie du terrorisme », par exemple).

Vidéo du discours de Masar Badil, prononcé par Mohammed Khatib en 2022 lors de la Marche pour le Retour et la Libération.

Plus qu’inquiétant, il est interpellant que les stewards des manifestations organisées par des organisations hégémoniques à Bruxelles sur la question palestinienne (ABP, Intal, …) attaquent frontalement les blocs majoritairement composés de personnes de la diaspora palestinienne.

Il nous semble également important de souligner que les organisations composant la coalition sont des organisations subventionnées, dont les directions sont majoritairement de la classe moyenne blanche. Ces organisations se donnent le droit de prendre position en faveur d’une solution à deux Etats et attaquent Samidoun, une organisation majoritairement composée de personnes de la diaspora palestinienne, de personnes non-blanches et issues de milieux populaires. Soulignons également que cette situation intervient dans une séquence politique ou l’extrême droite belge et l’Etat israélien mettent tout en oeuvre pour interdire Samidoun et, en ce sens, criminaliser les voix soutenant frontalement la résistance en Palestine. En ayant participé à cette stigmatisation d’une manière ou d’une autre, ces organisations se rendent complices de la répression d’Etat. De fait, elles participent activement à la marginalisation et à l’isolement de Samidoun. 

Il s’agit cependant, de nuancer cette analyse au regard de la dernière lettre ouverte publiée et envoyée par l’ABP à Nicole de Moore en solidarité avec Mohammed Khatib et l’organisation Samidoun. Dans celle-ci, l’ABP explique que « quelles que soient nos divergences avec Samidoun, nous refusons que la solidarité avec le peuple palestinien soit criminalisée et nous vous demandons donc, Madame la Secrétaire d’Etat, d’annuler la décision de retrait du statut de réfugié de M. Mohammed Khatib. » Une action de solidarité qui rompt donc avec les dynamiques de marginalisation observées ci-dessus.

Plusieurs choses importantes se jouent à Bruxelles autour de la Palestine, et plusieurs acteur·rices en tirent différents bénéfices. D’abord, l’Etat belge, dans un geste de solidarité impérialiste avec Israël, tente de criminaliser les voix pro-résistance en Belgique et de limiter la solidarité avec la Palestine. Dans un second temps, les organisations traditionnelles, qui encadrent la solidarité avec la Palestine depuis des décennies, sur des mots d’ordre de moins en moins politiques et de plus en plus humanitaires, se sentent bousculées par l’émergence d’organisations se réunissant sur des revendications politiques bien plus radicales qu’elles. Ces mots d’ordre de soutien à la résistance palestinienne trouvent écho dans les mobilisations bruxelloises, où, entre les appels au cessez-le-feu, des slogans comme « Vive la lutte armée du peuple palestinien » sont apparus.

En ce sens, ces organisations et associations ont profité et favorisé la marginalisation étatique de Samidoun et des voix pro-résistance pour tenter de conserver leur hégémonie. L’Etat belge tente ainsi de maintenir le mouvement de solidarité pour la Palestine dans une expression dépolitisante, pour cela, il a pu s’appuyer sur les organisations qui dominent le mouvement de soutien à la Palestine. Les seul·es acteur·rices qui bénificient pleinement de cette situation sont sans aucun doute l’entité coloniale israélienne, l’Etat belge et, plus largement, l’impérialisme occidental.

Conclusion

Une nouvelle séquence politique et historique a été ouverte à la suite du 7 octobre. Tant d’un point de vue géopolitique régional pour l’impérialisme occidental au Moyen-Orient, qu’à un niveau mondial. L’hégémonie des puissances occidentales sur le monde est mise en branle, avec la guerre en Ukraine, au Moyen-Orient, où une série d’acteur·rices de résistance objective, que leur projet politique soit apprécié ou non, s’allie aujourd’hui pour combattre cet impérialisme. Pendant ce temps, d’autres impérialismes (chinois, russe, etc.) tentent de se renforcer et d’accroître leur influence. 

La géographie politique et militaire mondiale poursuit sa réorganisation autour d’un monde multipolaire, où l’Occident semble pouvoir perdre, peu à peu son hégémonie.

Dans ce contexte, un effort politique particulier est fourni en Occident par les Etats pour défendre l’impérialisme dont il bénéficie. C’est ce qui se passe maintenant en Belgique. C’est ce qui est à l’oeuvre lorsque les autorités publiques et des acteur·rices politiques attaquent, au travers des diffamations et des disqualifications, en utilisant des outils anti-terroristes pour des groupes qui soutiennent le droit à l’autodétermination et à la libération de leur peuple du colonialisme autour de principes d’égalité et de démocratie. C’est le même phénomène qu’on retrouve dans le traitement médiatique et le discours politique au sujet du 7 octobre et de la guerre en cours en Palestine, dans les médias en Europe et en Amérique du Nord. Ceux-ci tendent à justifier et soutenir le narratif Israélien, à relayer la propagande coloniale, la déshumanisation des palestinien·nes et la mystification de leur lutte de libération. Ce narratif colonial et raciste s’appuie sur le racisme d’Etat déjà existant en Belgique, l’islamophobie/arabophobie, la négrophobie, l’antisémitisme, le racisme anti-roms, … tout en les nourissant.
La question palestinienne, à Bruxelles et dans le monde, divise la scène politique. D’un côté, ceux et celles qui soutiennent ouvertement Israël, l’impérialisme occidental et le génocide en cours. D’un autre, ceux et celles qui, sous couvert d’un soutien à la Palestine et aux palestinien·nes, servent en réalité les intérêts israéliens au travers du soutien d’une dite « solution » à deux Etats. Solution à deux Etats, matériellement impossible et qui ultimement ne ferait que maintenir la colonisation et les intérêts de l’Occident en Palestine et au Moyen-Orient. Finalement, il y a celles et ceux qui soutiennent la lutte palestinienne et la libération de la Palestine sans équivoque.

Sources :
Témoignagnes récoltés par nos journalistes au sujet des agressions lors des rassemblements, des perquisitions ainsi que des interdictions de manifestations et autres pressions.
Question à l’organisation Samidoun
Questions poser à l’ABP

https://www.lalibre.be/belgique/societe/2023/10/11/la-fgtb-se-retire-de-la-manifestation-pro-palestine-apres-linfiltration-de-lorganisation-pro-hamas-samidoun-ZNN4R3GMCFALTD3ZIWOLERERYY

https://samidoun.net/2024/01/samidoun-brussels-statement-attack-on-the-demonstration-on-21-january

https://www.stradalex.com/fr/sl_src_publ_div_be_chambre/document/QRcrb_55-b046-1192-0367-2020202108353

https://www.hln.be/buitenland/n-va-wil-pro-palestijnse-organisatie-samidoun-verbieden-maar-grondwet-laat-weinig-ruimte-zegt-van-quickenborne~a2dfa545

https://www.dekamer.be/doc/CCRI/pdf/55/ic1218.pdf
https://www.streetpress.com/sujet/1705598072-ministere-interieur-envisage-dissolution-rois-associations-palestine

https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2024/04/16/soutien-total-a-mohammed-khatib-et-a-samidoun/https://www.lepoint.fr/politique/deux-syndicalistes-cgt-interpelles-apres-un-tract-de-soutien-aux-palestiniens-20-10-2023-2540153_20.php

https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2024/03/29/palestijnse-organisatie-samidoun